Pour les plaisirs du Roi
causer du tort, mais elle ne put ignorer le ressentiment dont son ami Choiseul se nourrissait à mon égard. Et si je reconnais que cette femme eut des talents et sûrement un grand courage, je mentirais en disant que sa disparition ne fut pas sans servir mes intérêts. Paix à son âme.
M. de Richelieu n'était pas moins aise de la fin de cette rivale car, désormais, le duc de Choiseul perdait un de ses principaux appuis auprès du roi. Il fallut toutefois déchanter si on espérait que le ministre voie pour autant son influence décroître. Le souverain, désemparé, lui voua au contraire une amitié nouvelle. Même le Dauphin qui détestait Choiseul dut en rabattre. Ce dernier, toujours fin quand il s'agissait de politique, ne tira d'abord pas trop d'avantages de cette faveur. Il tenta ainsi de se rabibocher avec quelques-uns de ses ennemis, dont M. de Richelieu qu'il détestait pourtant. Nous ne fûmes pas dupes mais l'affaire eut au moins le mérite d'éloigner un temps de moi les espions de M. de Sartine. Restait une question en suspens : se trouverait-il une femme pour succéder un jour à la Pompadour ? Je travaillais toujours à y répondre.
Je vous l'ai dit, j'étais devenu plus discret dans mes activités de courtier galant. Trois filles en plus de Dorothée habitaient près de ma demeure, et je n'en brocantais pas plus. De son côté, Nallut se tirait très bien de son commerce, me versant tous les deux mois une coquette rente sur l'estomac de nos braves soldats. Bref, tout allait au mieux quand une nouvelle troubla un peu ma quiétude. Figurez-vous qu'il me revint par Nallut, qui les avait vus chez la Marchainville, que Goudar et sa splendide épouse étaient à Paris. Le bougre n'était pas parti pour l'Italie. Que faisait-il en France ? La chose était sérieuse car la beauté de Sarah ne resterait pas longtemps ignorée des rabatteurs de Lebel. Je décidai de me rendre un soir à l'hôtel de Marchainville pour tenter d'en savoir plus.
Comme je m'y attendais, le couple était là, à la table de jeu, Sarah plus belle encore qu'à Londres. Ce fut d'ailleurs elle qui me reconnut en premier, ce qui, je l'avoue, me causa une brève émotion. Ange Goudar se montra aussi cordial qu'à notre précédente rencontre. Il me dit être arrivé deux semaines plus tôt en provenance de Bruxelles où ils avaient séjourné quelques mois chez un ami italien, rentré depuis dans son pays. Ils en profitèrent alors pour venir à Paris, Ange Goudar ayant promis à sa belle épouse de lui en faire découvrir les attraits. J'essayai d'en savoir davantage sur leurs projets, mais il ne daigna pas en dire plus, soit qu'il se méfiât, soit qu'il n'eût réellement arrêté aucun plan. L'homme était comme cela : il se laissait porter par les circonstances, philosophie dont je ne peux lui faire grief. Pour l'heure, les époux Goudar habitaient un petit appartement près du Louvre. Je les conviai à venir me voir à l'occasion, ce qu'ils me promirent s'ils restaient plus longtemps à Paris. Nous en restâmes là. De retour chez moi, j'écrivis un courrier à Nallut où je lui demandais de me trouver un ou deux larrons qui pussent quelque peu surveiller le couple. Pardon à mon lecteur de lui avouer cette mauvaise action, mais si vous aviez vu Sarah, vous comprendriez le souci que me causaient ses allées et venues dans Paris. Nallut, toujours empressé lorsqu'il était question de me rendre service, me dégotta une paire d'espions, domestiques de leur état habituel, qui s'arrondirent leurs gages à mes frais en pistant Ange et Sarah Goudar.
Dans le courant du mois de mai, je me rendis plusieurs fois à Versailles pour rencontrer diverses relations, en même temps que je rendais visite à Lebel. Depuis la mort de la Pompadour, il régnait seul sur le Parc-aux-Cerfs, dont la marquise, je vous l'ai expliqué, avait également été une intendante avertie. Il tira de ce nouveau privilège un peu plus d'arrogance encore. Désormais, on eût dit qu'il n'y avait plus que lui entre l'univers et la chambre du roi. Car après une brève abstinence, le monarque s'était jeté à corps perdu dans la débauche. Il exigeait toujours plus d'invention afin de chasser cette mélancolie morbide qui hantait ses jours comme ses nuits. Je compatissais en suggérant à Lebel qu'il pouvait au besoin compter sur moi pour l'assister dans son labeur. Il m'en remercia poliment, mais j'eus l'impression qu'au fond le bonhomme se défiait de ma
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