Pour les plaisirs du Roi
Jeanne.
Il n'est pas dans mes habitudes d'amener chez moi des femmes d'un soir. Cela peut vous paraître étrange, mais, hors mes protégées, je consomme d'ordinaire mes rencontres dans les lieux où je les trouve ou bien dans leurs logis, quand elles en ont. Et j'ai couché – je n'ai pas écrit dormi – dans autant de lieux qu'il y a d'endroits louches dans Paris. Ceci pour vous dire que quand Jeanne entra dans ma maison cette nuit-là, mes domestiques ne se doutèrent d'abord pas où je l'avais pêchée. Au contraire, Simon usa de cette déférence étudiée mais toujours maladroite qu'il m'amusait de le voir singer lorsqu'un de mes puissants amis me rendait visite. Le bougre pensait Jeanne issue d'une honnête famille, même si peu de femmes de ce genre ont franchi un jour le seuil de ma maison. Ce détail ne manqua pas de me plaire. Je commandai à Simon de nous faire préparer un léger souper, la belle n'ayant pas mangé, m'avoua-t-elle. J'avais décidé de prendre mon temps. Elle ne m'avait coûté que trois louis, mais ce n'était pas une raison pour hâter le dénouement. En outre, elle comme moi savions la nature de la suite, ce qui, je le redis, est le gage d'une franche entente entre un homme et une femme. Et puis, cette Jeanne piquait ma curiosité à bien des égards : je voulus en savoir plus.
— Mlle l'Ange, d'où vous vient ce plaisant nom de guerre ? hasardai-je après qu'elle se fut installée sur un canapé.
— Il vous plaît, monsieur le comte ?
— Assurément, il sonne bien.
— C'est ce que l'on me dit. Il faut pourtant que je vous avoue que je l'ai choisi sans vouloir faire offense à la religion.
— J'entends bien. L'Église pourrait même s'en flatter, dis-je en observant sa réaction.
Elle baissa les yeux avant de me sourire avec beaucoup de grâce.
— Si l'orgueil n'était pas un péché, elle le pourrait peut-être, répondit-elle sans rougir.
Elle avait de l'esprit et de l'aplomb. Je jubilai. Elle sut aussi ne pas répondre à ma question : elle était fine. Je changeai donc de sujet :
— Qui donc était ce garçon qui vous accompagnait chez la Gourdan ?
— Oh ça, c'est Antoine, mon… – elle hésita – frère de lait.
— J'ai plutôt le sentiment que c'est vous qui le nourrissez.
Elle ne dit rien et me gratifia à nouveau d'un sourire à lui offrir les clés du paradis si on les avait eues dans sa poche. Nous continuâmes à deviser comme deux aimables connaissances. Au fait, j'allais oublier de vous avertir qu'elle avait un très léger défaut de langue qui lui donnait un charmant accent à nul autre pareil. Elle m'en raconta un peu plus sur elle :
— Je suis depuis deux ans chez M. Labille qui tient un magasin de mode rue Neuve-des-Petits-Champs.
— C'est une bonne maison, je crois.
— Très bonne, surtout pour M. Labille. Mais on y gagne peu.
— Il faut arrondir ses gages, alors ?
— Plutôt. Le soir, je me loue, comme vous le savez. Cela ne me gêne pas. Mais il faut être gentil avec moi.
— On le sera, mademoiselle, soyez-en sûre. Mais vous n'avez point de port d'attache dans ce commerce ?
— Si, un peu. On me trouve généralement chez Mme Duquesnoy, rue de Bourbon.
— Je la connais, mais je ne vous y ai jamais vue.
— Je bouge beaucoup. La preuve, ce soir, Antoine m'a amenée chez la Gourdan. Il affirme qu'il s'y rend du beau monde.
— Il n'a pas tort, répondis-je en souriant.
Je lui demandai si cet Antoine était son protecteur. De ce qu'elle m'expliqua, le garçon avait été un de ses galants et s'accrochait aux nippes de Jeanne, sentant bien du fond de sa médiocrité qu'elle était une planche de salut comme il n'en croiserait plus. Il l'avait rencontrée au magasin de mode où elle travaillait dans la journée. Jeanne le gardait près d'elle presque par charité, car je m'aperçus très vite qu'elle avait du cœur. C'était une faiblesse dans ce métier.
Nous en étions là quand Simon me prévint que la table nous attendait. Le souper fut bref mais Jeanne se tint très bien. Elle avait manifestement reçu une éducation soignée. Restait maintenant à m'instruire de ce qu'elle savait sur un autre chapitre. Là encore, elle n'eut pas de mauvaises manières. Je la déshabillai pour la laisser seulement en chemise. Son corps était bouillant : mes mains le parcoururent lentement sous la fine étoffe. Je m'attardai sur sa gorge dont les tétons figuraient comme deux boutons d'ivoire. Elle respirait à grands traits, sa
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