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Pour les plaisirs du Roi

Pour les plaisirs du Roi

Titel: Pour les plaisirs du Roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Philippe Hugon
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personne. Il savait mes liens avec le duc de Richelieu et ne se sentait pas de taille à déplaire à Choiseul en me faisant trop bonne figure. Il est même possible qu'à cette époque il fût de mèche avec ce ministre pour écarter du lit du roi des femmes issues d'une coterie adverse. Je n'en ai jamais eu les preuves, toutefois cela ne m'étonnerait guère. D'autant que M. de Choiseul avait des plans en la matière.
    Car à ceux qui pensent que mes machinations sont indignes d'un gentilhomme, ou je ne sais quelles billevesées encore, je ferai remarquer qu'elles ne furent pas mon monopole. Et le duc de Choiseul, dont beaucoup d'entre vous admirent sûrement les manières d'homme d'État, consacra lui aussi une belle énergie à garnir la couche du roi avec une femme qui fût de son bord. Mieux encore, il la choisit de sa famille. La duchesse de Grammont, sa sœur, devint ainsi l'objet de ses calculs. Jeune encore, bien qu'ayant dépassé les trente ans, elle était d'un minois plus avenant que son frère. Elle brillait surtout par une intelligence vive et un caractère ferme. Et comme le duc, elle avait une ambition sans bornes. Bref, quand son frère lui présenta son projet, elle n'y trouva rien à redire. Évidemment, on ne lui destinait pas le rôle d'une nymphe ou d'une Ève de passage dans le théâtre du Parc-aux-Cerfs. Non, c'était le devant de la scène qu'elle devrait occuper. Choiseul y travaillait sans relâche, attendant le moment propice pour accommoder les choses à sa sauce. Avec la duchesse de Grammont, imaginait-il, le roi trouverait un honnête paravent à ses dérèglements. À Versailles, cette ambition fit doucement parler, ce que voulait Choiseul.
    Toutes ces manigances ne furent pas sans aiguillonner un peu plus ma quête d'une prétendante. Je repris résolument mes visites chez les maquerelles du faubourg ainsi que dans les petites maisons de bonne tenue. On me vit chez La Montbrun, rue Montorgueil ; chez la Lefèvre, rue Thévenot ; dans les salons de la vieille Carlier, à la Barrière-Blanche ; au lupanar de la Dubuisson, rue du Battoir ; chez La Braisée, rue Sainte-Anne ; et même faubourg saint-Honoré, chez la Desmaret, pourtant si bien en langue avec la police. Je fréquentais assidûment le théâtre, passais en revue les modistes de Saint-Germain, sans oublier tous les jardins de Paris, toujours propices aux rencontres galantes. Bref, il commençait de se dire partout que le comte du Barry était en chasse lorsqu'un soir la Gourdan me prévint qu'elle avait la visite d'une jeune personne qu'il pourrait m'être agréable de rencontrer. Une heure plus tard, j'étais dans son grand salon.
    Dans un coin de la pièce, près d'une fenêtre, une jeune femme très blonde était assise, contemplant d'un œil bleu et distrait le manège des habitués de la maison. On eût dit qu'elle était au Procope plutôt qu'au bordel. Son visage respirait une candeur sans affectation, de celle qui plaide la vertu mais qui plaît tant au vice. En m'approchant, je pus constater que le détail valait largement la vue d'ensemble. À une seule, la nature avait octroyé la grâce qu'elle partage habituellement entre dix autres. Des yeux bleu clair, transparent mais profond, un nez fin et droit, une petite bouche aux lèvres vermillon, un teint d'une blancheur irréprochable, une gorge à perdre son sang-froid : tout était dessiné à la perfection. Un ange tombé du ciel. Je ne croyais pas si bien dire car la Gourdan me prévint qu'on appelait cette beauté Mlle l'Ange. Ça ne s'invente pas. Elle avait dans les vingt ans et était venue escortée d'un loustic qui se présentait comme son frère. Même un aveugle ne les aurait pas crus du même sang. Ce fut d'abord à lui que la Gourdan me présenta. Je compris vite qu'il désirait jouer l'entremetteur des charmes de la belle : je demandai sans détour combien il voulait de sa prétendue sœur. Il campa le surpris, mais comme je le toisais avec insistance, ce misérable maquereau proposa trois louis du bout des lèvres : cet âne ne savait pas quel joyau il bradait. J'acceptai et le payai avant qu'il ne s'esquivât après avoir murmuré quelques paroles à l'oreille de sa sœur de comédie. La jeune femme ne répondit pas. Et ce fut toujours silencieuse qu'elle m'accompagna dans ma voiture pour se rendre chez moi. Tout au long du chemin, nous n'échangeâmes pas le moindre mot. Arrivé à ma porte, j'entendis enfin sa voix : elle me confia se prénommer

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