Pour les plaisirs du Roi
trop de temps. Il a paru ennuyé. D'ailleurs, il ne m'a pas adressé la parole. Nous avons continué sans lui. Mais M. de Lebel était là, cette fois.
— C'est tout ?
— Oui monsieur. Ce matin, M. de Lebel m'a donné cette bourse et on m'a raccompagnée ici.
J'arrête là le récit de Dorothée, vous en savez bien assez maintenant.
Comme vous pouvez l'imaginer, j'étais déçu, bien que cette rencontre inopinée avec le roi pût laisser entrevoir une suite. J'écrivis donc à Lebel pour m'enquérir de son avis sur ma protégée. Un billet de sa part me parvint le jour même. Il y disait le plus grand bien de Dorothée, vantait ses talents de scène, mais regrettait qu'elle fût plus de la veine des figurantes que des premiers rôles. Il me remercia à nouveau pour ses services et m'assura qu'il ne manquerait pas d'y faire appel à l'occasion. Je compris qu'il n'y avait plus d'espoir pour elle. Le Parc-aux-Cerfs était une scène où il n'y avait jamais de rappel 14 .
14 Dans ses Mémoires, Mme de Hausset, femme de chambre de la Pompadour, affirme qu'une certaine Dorothée fut introduite en 1754 près du roi. Celui-ci y fut tellement sensible que cela alerta la marquise. L'affaire échoua mais on prétend que le comte du Barry fut l'instigateur de la rencontre. Était-ce bien lui ? S'agissait-il d'une autre Dorothée ? Ou bien le comte mélange-t-il encore les dates et les faits ? Et pourquoi ?
Chapitre XXI
L e dix-sept avril 1764, la marquise de Pompadour, née Poisson, eut des obsèques princières. L'hermine royale fut placée sur son catafalque et des suisses ouvrirent le cortège qui la conduisit à sa dernière demeure, au couvent des Capucines, près la place Vendôme à Paris. Quelques jours plus tôt, j'étais au concert donné par un incroyable virtuose autrichien de huit ans nommé Mozer ou Mozar , quand une rumeur courut la foule : Mme de Pompadour s'était trouvée mal et le médecin du roi, M. Quesnay, appelé auprès d'elle, n'espérait plus rien. Déjà, au mois de mars, on avait cru l'issue toute proche quand la marquise s'était effondrée dans un salon à Versailles. Elle s'en remit cependant un peu au bout d'une semaine. Mais pas assez, car cette fois le retour du mal ne semblait devoir accorder aucun délai de grâce. La santé de la favorite était en ruine : la fièvre l'assaillait et sa toux empirait chaque heure. On la transporta dans ses appartements où on la saigna, ce qui n'eut évidemment pour effet que de précipiter l'agonie. Elle demanda alors à voir quelques proches dont son frère, M. de Marigny, ainsi que M. de Choiseul et, bien sûr, le roi. À quarante-deux ans – un an de plus que moi à cette époque –, elle en paraissait dix de mieux, cachait son affreuse maigreur par divers artifices, et ne quittait plus un teint de cadavre. La cause était entendue. Le quinze avril, à minuit, je finissais de souper dans mon hôtel de la rue de Jussienne lorsqu'une amie m'informa que la marquise avait passé quatre heures plus tôt. Ultime faveur du roi, elle eut le droit de s'éteindre à Versailles, privilège seulement accordé à la famille royale.
Le roi en fut inconsolable : il annula plusieurs soupers et ne se rendit pas au Parc-aux-Cerfs durant une semaine. Mme de Pompadour l'avait accompagné plus de vingt années, d'abord comme sa maîtresse, puis comme sa favorite avant de s'installer dans le rôle d'une amie d'influence, plus puissante qu'un ministre. Au courant de toutes les affaires du royaume, elle savait calmer la nature anxieuse du roi par des conseils souvent avisés mais toujours partisans. La coterie de la marquise avait régné sans partage, Choiseul n'en étant pas le moindre des instruments. Dans son testament, la Pompadour se montra généreuse avec ceux qui la servirent aux dernières heures de sa vie. Elle eut également la grâce de faire don au roi de sa fabuleuse collection de pierres et bijoux – certaines lui avaient d'ailleurs été offertes par le souverain. Enfin, son immense fortune alla dans son intégralité à son frère, le marquis de Marigny.
Pendant quelque temps, Versailles prit le deuil. Évidemment, rien ne fut officiel, la favorite n'existant pas au regard de l'étiquette, mais les fêtes s'annulèrent ou se firent discrètes. Je dois dire pour ma part que la fin de la marquise ne changea rien à mon train quotidien. Vous savez quelle part ses amis eurent dans mes tracas. Je ne sais si elle-même mit la main à la pâte pour me
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