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Pour les plaisirs du Roi

Pour les plaisirs du Roi

Titel: Pour les plaisirs du Roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Philippe Hugon
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ayant peu d'entregent, il avait offert pour rien cette perle à des décavés comme lui. Une après-midi, je décidai de lui toucher un mot pendant que Jeanne était chez Labille. Cette espèce étant toujours là où on l'attend, il ne me fallut pas longtemps pour le retrouver. Il était en compagnie de deux autres larrons et s'apprêtait à vider une bouteille de mauvais clairet dans une taverne sise face à la maison de jeu de la Duquesnoy. Il me reconnut et me proposa de partager sa vinasse. Je déclinai, puis l'invitai à l'écart pour causer. Il accepta de bonne grâce, flairant d'avance que sa « sœur » serait au cœur de notre débat.
    — Je serai franc, commençai-je. Votre sœur, monsieur, n'a pas été sans m'émouvoir.
    — Elle a un tempérament qui charme, c'est vrai, répondit-il.
    — Nous sommes d'accord. Toutefois, cette nature doit avoir des exigences si elle veut se conserver.
    — Jeanne est encore jeune…
    — Certes, cependant une certaine vie pourrait la flétrir avant l'heure.
    — Elle a de la ressource…
    — … pour deux, vous en savez quelque chose.
    — Monsieur…
    — Monsieur ?
    Le garçon hésita. Je ne le quittais pas des yeux et il sentit que l'affaire s'embarquait mal.
    — Que voulez-vous ? bredouilla-t-il.
    — Jeanne.
    — Elle n'est pas à vendre.
    — Je n'ai pas cru le comprendre.
    — Je veux dire… elle se loue, c'est tout.
    — Écoutez, mon garçon – il se raidit –, je ne suis pas venu marchander Jeanne, dis-je en sortant une bourse. Il y a là cinquante louis : ils sont à vous si vous abandonnez toutes prétentions sur elle.
    — Monsieur, ce n'est pas…
    — Il suffit, dis-je en élevant la voix. C'est déjà beaucoup pour un misérable de ton espèce. Écoute bien tant qu'il te reste des oreilles : tu vois, cet homme, là-bas ?
    Je lui montrai Simon qui m'avait discrètement suivi et qui attendait, sa puissante carrure adossée à un mur près de la porte de la taverne.
    — Et bien, ne me force pas à lui demander de te répéter ce que je viens de dire, repris-je.
    — Mais j'aime Jeanne…
    — Et tu la brocantes ? Tu es un drôle. Prends cette bourse et cours faire ton baluchon. Simon va t'accompagner et te donnera vingt autres louis pour que tu quittes Paris quelque temps.
    — Je ne peux pas disparaître comme ça…
    — Il y a plusieurs manières de disparaître, celle-ci est préférable à d'autres…
    Il était lâche et ne tenta plus rien. Simon le suivit dans sa mansarde puis l'expédia sur la route de Lyon : Jeanne était libre. Quand elle me revit, le soir, elle s'étonna de la disparition de son prétendu frère. Ses vêtements s'étaient volatilisés, disait-elle, et aucun mot n'expliquait cette fugue. Je la consolai toute la nuit. Au matin, alors qu'elle s'habillait, je lui proposai d'habiter dans ma maison quelque temps. Elle me sauta au cou comme une enfant.

 
    Chapitre XXII
    J eanne s'installa chez moi avec le naturel d'une jeune épousée. Vous savez la relation que j'ai habituellement envers mes protégées. Avec Jeanne ce fut différent. Je l'ai dit, il me plaisait d'en faire ma maîtresse avant de l'installer ailleurs. Comme pour Elie – souvenez-vous de cette charmante Anglaise qui tint mon logis à Londres –, je donnai très vite à Jeanne une place à part dans ma maison. Et je peux dire sans rougir qu'il y eut des moments où un visiteur imprévu nous aurait pris pour le plus amoureux des jeunes couples. Jeanne quitta bien sûr son emploi chez Labille, en même temps qu'elle donna son congé à la maison de la Duquesnoy. Je la voulais pour moi. Entièrement.
    Que mon lecteur me fasse grâce du soupçon de vouloir le berner sur ce point. Ne pensez pas pour autant que mon grand projet m'était sorti de l'esprit. J'y travaillais discrètement en m'enquérant des antécédents de Jeanne : pour le commerce que j'envisageais, il fallait m'assurer que rien de trop infamant ne vînt entacher son extraction. Je demandai donc à une de mes connaissances au Châtelet, un certain Louis M* 15 , de me fournir quelques détails sur le passé de l'Ange. Tout ce qu'elle m'en avait confié jusqu'alors se résumait à son véritable nom de naissance, Jeanne Bécu, qui était devenu par la suite Rançon, patronyme du mari de sa mère. Rompu à ce genre de besogne, le sieur Louis M* me donna rapidement des éclaircissements précis sur son état civil, Jeanne étant bien sûr déjà un peu connue de notre fouineuse police. Elle portait le nom

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