Pour les plaisirs du Roi
de sa mère, Bécu, car son père n'avait pas reconnu ses œuvres. Et pour cause : il s'agissait vraisemblablement d'un moine de Vaucouleurs, dit frère Ange. Je compris d'où venait son nom de guerre – Jeanne avait de l'impertinence. Sur sa première jeunesse, Louis M* ne m'apprit rien. Elle ne commença à se faire une aimable réputation au Châtelet qu'à l'âge de quinze ans. Installée chez un jeune perruquier du nom de Lametz, la petite Rançon devint vite sa maîtresse avant de ruiner le garçon tout aussi promptement. La famille du jeune homme en ferait tout un tapage. Après ces beaux débuts, Jeanne aurait, selon M*, réussi à entrer dans la maison de M. de L*, fermier général connu pour sa grande piété et sa rare rapacité. Elle y rendit d'excellents services et assuma au pied de la lettre son office de femme de chambre en investissant rapidement les lits des deux fils de son nouveau maître. Ces messieurs avaient des goûts plaisants qu'ils mettaient d'ailleurs parfois en commun pour lui prodiguer leurs bons soins, ajoutaient les rapports de police, toujours gourmands de ce genre de détails. Faut-il les croire ? Je ne sais. Jeanne a toujours été très discrète sur cette période de sa vie. Mieux connue en revanche, l'époque où elle fréquenta quelques bonnes maisons. Pour le sieur M*, Jeanne n'y fut pas sous la coupe d'une maquerelle, ce que je veux bien croire, ou sinon je l'aurais repérée plus tôt. Non, elle préférait agir en solitaire, jusqu'à ce que le médiocre Antoine ne la ferrât. D'une confidence que je recueillis plus tard de la Duquesnoy, elle était très appréciée de certains habitués qui l'avaient pensée vierge. Rompue à beaucoup de pratiques, elle était adroite dans l'art de combler les appétits de ses clients, sans pour autant leur concéder l'essentiel. Bref, rarement une jeune fille ne ménagea sa vertu avec autant de vice. Et après presque une année passée dans cet immoral labeur, Jeanne négociait encore son pucelage à quelques dupes. L'anecdote est charmante, ne trouvez-vous pas ?
Ces renseignements me rassurèrent. Jeanne s'était commise dans quelques aventures scabreuses, mais rien qui ne se pût oublier ou déguiser. Pour ce faire, il fallait tout d'abord lui donner un nouveau patronyme. Je m'en ouvris à elle, en lui avouant également franchement tout ce que j'avais appris de son passé. Elle en fut un peu contrariée puis me le pardonna car, je vous l'ai dit, Jeanne était une âme clémente. J'en profitai pour l'interroger un peu plus sur ses premières années. Elle s'y prêta de bonne grâce cette fois : — J'ai été élevée chez les sœurs du couvent de Sainte-Aure, faubourg Saint-Marcel. C'est grâce à un ami de ma mère que l'on m'y accueillit dès l'âge de six ans.
— C'est une belle institution. Et on en conserve toujours les bons préceptes, de ce qu'il m'a été donné d'en juger, répondis-je, sarcastique.
— Vous êtes méchant. Ne blâmez pas ces braves sœurs. Elles seraient bien malheureuses de ma conduite, dit-elle très sérieusement.
— Vous regrettez votre vie ?
— Nullement, je m'amuse beaucoup. Mais je pense au mal qu'elles se sont donné pour m'éduquer.
— Ne vous inquiétez pas. Un jour, elles pourraient bien en faire un titre de gloire.
— Et pourquoi donc ?
— Parce que la vie est imprévisible, ma belle Jeanne.
— Cela est bien vrai, mon Dieu. Quelle chance de vous avoir rencontré ! Me voici dans une magnifique maison, avec des domestiques, et chérie par le maître des lieux. Dites-moi que ce n'est pas une chimère, demanda-t-elle en se blottissant contre moi.
— Vous ne rêvez point, jeune fille. Ne vous l'ai-je pas démontré ?
— Oh bien sûr que oui, monsieur. Mais depuis ma naissance, les songes ne durent pas.
— Celui-ci vous fera quelques belles nuits si vous savez m'obéir, j'en fais le serment.
— Je vous écouterai en toute chose.
— Fort bien. D'abord, il faut à cette nouvelle existence un nom tout neuf.
— J'aime bien l'Ange.
— Moi aussi, mais ce chérubin a un peu trop maraudé.
— C'était le nom d'église de mon père.
— J'entends, mais quel était le sien, le vrai, d'avant la tonsure ?
— Il s'appelle Gomard de Vaubernier.
— Fichtre, belle prise.
— Pourquoi donc, mon ami ?
— Je ne sais pas si votre père figure dans les annales de M. d'Hozier, mais voilà un patronyme qui flatte.
— Oh, j'en ai un autre. Le père de ma mère se nommait Bécu,
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