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Pour les plaisirs du Roi

Pour les plaisirs du Roi

Titel: Pour les plaisirs du Roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Philippe Hugon
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Maintenant que Jeanne s'était fait une belle place près de moi, Anne Rançon brûlait de connaître son gendre, si l'on peut dire sans s'étrangler.
    J'acceptai de rencontrer cette aimable personne, non pour lui être agréable, mais afin de jauger ce qu'elle pouvait recéler de menace pour mes projets. Jeanne l'invita une après-midi à prendre un chocolat. Je fus bien vite rassuré. La mère de Jeanne n'avait pas l'âme d'une maquerelle : il lui suffit de savoir sa fille en de bonnes mains pour satisfaire sa légitime curiosité maternelle. J'étais tranquille, elle ne me causerait pas d'embarras. Quant à son époux, il n'offrait pas plus de motif d'inquiétude. D'ailleurs, il était en passe de prendre un nouveau poste assez loin de Paris. Pour complaire à Jeanne, je proposai à sa mère de venir quelquefois nous visiter, une chambre étant à sa disposition lorsqu'elle le souhaiterait. Elle en fut touchée et Jeanne m'en témoigna encore plus de dévouement. Voilà comment on se fait aimer de sa belle-famille à pas très cher.
    L'automne de 1764 arriva sans un nuage dans le ciel de notre nouveau couple. À mon contact, Jeanne affinait tous les jours ses manières et son allure commençait de démentir la médiocrité de sa naissance. Il restait cependant encore de l'ouvrage avant qu'elle présentât un vernis sans accrocs. Depuis son arrivée, je l'avais tenue à l'écart de mes fréquentations habituelles. Nous étions sortis quelques fois, sans cependant nous rendre dans les lieux coutumiers de la vie parisienne. Je ne l'amenai pas non plus très souvent au théâtre, préférant recevoir chez moi quelques connaissances insignifiantes afin de la distraire sans risque. À ce titre, M. de Saint-Rémy me fut d'un secours appréciable. Il battit le rappel d'une dizaine de seconds rôles de Versailles pour animer mes soupers. Jeanne n'en fut pas moins très impressionnée car elle n'avait jamais fréquenté le monde. La manœuvre me permit de la dégrossir un peu, sans la mettre en présence de gentilshommes autrement plus brillants et surtout plus retors. Dans la préparation de ces soirées, elle montra d'indéniables qualités de femme d'intérieur. Les bonnes sœurs du faubourg Saint-Marcel avaient bien travaillé. Rien ne lui échappait : elle fit marcher ma maison sur un train ferme mais tout de douceur. Avec mes filles, car bien sûr mes affaires continuaient, elle se montra presque une sœur – Jeanne savait mon commerce depuis le premier jour. Aucune de mes protégées ne prit ombrage de sa position, une ou deux s'en faisant même une confidente. Au chapitre des domestiques, tout se passa sur un ton identique : la prévenance de Jeanne conquit sans effort le cœur de mes gens. Enfin, en ce qui concerne Simon, elle adopta dès le premier matin une exquise politesse : le garçon s'en trouva désarmé. Lui, pourtant si prompt à craindre de perdre les prérogatives dont il se croyait détenteur, ne lésina plus sur le zèle dans son service auprès de Jeanne. On eût dit qu'il servait une princesse du sang. À la moindre occasion, il courait toute la maison afin de retrouver une babiole qu'elle avait égarée. Une autre fois, il molestait presque les autres domestiques car il jugeait qu'on ne la servait pas assez vite. Je le reprenais en privé à ce sujet en lui rappelant que s'il devait la respecter, cette considération nécessitait aussi un peu plus de sobriété. Évidemment, il ne comprit rien à mes remarques et je dus régulièrement le bousculer pour qu'il restât à sa place. Il n'en continua pas moins à jouer le prévenant avec Jeanne. Certains d'entre vous doivent peut-être imaginer que le bougre s'était entiché d'elle. Chez un autre que lui, je répondrais que c'eût été fort possible. Mais Simon a cela en commun avec les chiens ou les chats qu'il donne son affection à celui qui le nourrit. Voyant comme Jeanne m'était précieuse, et ne redoutant pas qu'elle l'évinçât, il voulut m'être agréable par son empressement envers elle, en même temps qu'il s'octroyait un rôle de prestige auprès des autres domestiques. Il ne faut pas chercher plus loin les raisons de son manège. Et puis, je vous l'ai expliqué, Simon est un être vil, dont j'ai fort tôt soigné les ambitions sentimentales.
    Que vous dire de plus sur ces premiers mois de Jeanne dans ma maison ? Peu de chose, excepté qu'elle y prit d'autant mieux sa place qu'un coup du sort me l'attacha plus encore. Je préviens : un

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