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Pour les plaisirs du Roi

Pour les plaisirs du Roi

Titel: Pour les plaisirs du Roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Philippe Hugon
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votre soirée ? débutai-je.
    — Tout est parfait. Le vin est excellent, les musiciens sont accordés, et les joueurs plutôt prodigues.
    — Justement. C'est un peu de cela que je veux vous parler.
    — Je vous écoute, mon ami.
    — J'ai beaucoup joué, ce soir et…
    — Et la chance ne vous a pas souri ?
    — C'est un fait.
    — Je le sais, mon ami. Je vous ai vu tout à l'heure rendre au moins cinquante louis à cet élégant gentilhomme en habit bleu.
    — Vous me facilitez la tâche. Bien, voulez-vous me rendre un petit service ?
    — Un grand si vous le souhaitez…
    — Figurez-vous que vous plaisez à ce monsieur, premier commis à la Marine, de son état. Une belle fortune par ailleurs.
    Jeanne prit l'air d'une élève qui écoute son maître. Je continuai.
    — Bref, il se propose très élégamment de vous raccompagner ce soir si je lui fais l'honneur d'oublier ma dette – il faut savoir présenter les choses.
    — Me raccompagner ?
    — Oui, de vous raccompagner chez lui, puisque vous habitez ici. Comprenez-vous ?
    Jeanne avait bien sûr compris et, j'en fais le serment, ne manifesta pas une seconde le moindre désaccord. Elle me sourit tendrement en me regardant droit dans les yeux, comme elle savait le faire.
    — J'espère que vous me garderez tout de même auprès de vous, après ce petit service, dit-elle.
    — Il ne tient qu'à vous de me revenir. Nous avons une maison à faire marcher. Je vous attends, répondis-je avant de la laisser à Le Gué.
    Le commis ne se fit pas prier pour retourner chez lui avec son butin. Jeanne rentra au logis le lendemain soir. Je lui demandai des détails. Elle me raconta tout par le menu : Le Gué s'était montré un amant des plus entreprenants, mais, disait-elle, elle avait su répondre aux abordages du marin sans tout lui concéder. Il n'en fut que plus épris et voulait savoir s'il était autorisé à la revoir. On se doute de ma réponse. De ce jour, Jeanne reprit pour moi son activité galante.
    Vous vous demandez pourquoi, alors que j'avais recruté Jeanne pour une sainte mission, je la brocantai ainsi au – presque – premier venu ? Il faut être roué pour comprendre. Jeanne devait être un instrument, vous le savez. Elle, en revanche, l'ignorait encore. Mais quand viendrait le moment, elle ne pourrait se dérober. Entre-temps, il fallait donc la conserver dans sa nature et dans ses vices car il n'était pas question d'en faire une honnête femme. Elle ne le souhaita d'ailleurs jamais. Enfin, le lecteur accoutumé à une épouse économe ne s'en doute pas, mais une compagne comme Jeanne coûte cher : son commerce me rapporta, entre autre, de quoi l'entretenir.
    Jeanne renouvela une fois ou deux les faveurs de sa personne à Le Gué, qui la dédommagea de plusieurs belles pierres et d'une centaine de louis. Je lui laissai les premières – sauf une – et empochai les seconds. Le pli était pris. Jeanne accepta ensuite d'éteindre diverses autres dettes, avant de devenir une monnaie d'échange contre quelques services de mes amis. Le vieux marquis de Villeroy, en particulier, se paya sur elle de son précieux concours dans mes affaires avec la Corse. Il était gouverneur du Lyonnais et il facilita – exonéra serait plus juste – le transport de la piquette dont nous abreuvions les troupes, ce qui dégagea un coquet bénéfice supplémentaire. Jeanne fut chargée d'en reverser un intérêt au marquis. Le pauvre homme ne profita pas de cette rente longtemps : il mourut d'apoplexie un an plus tard. Son titre de gouverneur du Lyonnais échut à son neveu qui reprit à son compte tous nos accords. Jeanne comprise.
    Arriva enfin le jour où je décidai de la présenter au duc de Richelieu afin qu'il jugeât sur pièce de nos chances dans notre entreprise. Je lui envoyai une lettre. Il était souvent absent de Paris car le roi, sur les conseils de Choiseul, lui avait enjoint de visiter les parlements de province pour s'enquérir de l'état de leur opinion dans le difficile débat sur leur réforme. Il s'agissait bien sûr d'une manœuvre de Choiseul afin de l'écarter et de renforcer ainsi sa mainmise sur le roi. Depuis la disparition de la Pompadour, il n'y avait plus personne à la Cour pour s'opposer à ce puissant ministre.
    M. de Richelieu m'écrivit en retour qu'il brûlait de faire la connaissance de ma découverte lorsqu'il rentrerait au début du mois de février. J'en avertis Jeanne. Pour la première fois, elle allait se frotter, si je puis

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