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Pour les plaisirs du Roi

Pour les plaisirs du Roi

Titel: Pour les plaisirs du Roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Philippe Hugon
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publiquement sa qualité de mari. La coquette déserta le foyer avec vêtements, bijoux et acte de mariage. Un procès s'ensuivit qui fit s'esclaffer tout le petit monde du théâtre. Pitrot gagna finalement mais ne reprit jamais son épouse qui, entre-temps, avait trouvé d'autres protecteurs.
    Nous étions dans une loge que j'avais choisie bien en vue du reste des spectateurs. À l'entracte, Jeanne fut évidemment très remarquée, d'autant que sa toilette m'avait coûté fort cher. Une à une, plusieurs de mes connaissances se mirent en devoir de venir nous saluer pour mieux observer ma compagne du soir. Jeanne rendit si bien les saluts que, bientôt, nous fûmes assaillis d'une cohorte de visiteurs parmi lesquels on pouvait reconnaître trois ou quatre ducs – dont deux qui me connaissaient de très loin. Vous savez comment se passent les spectacles à la Comédie-Italienne : on y discute parfois plus qu'on ne regarde ce qui se passe sur scène. Au bout d'un moment, il fallut quand même mettre le holà au chahut des curieux massés autour de ma loge : le spectacle avait repris et M. Pitrot donnait des signes positifs d'agacement. J'invitai donc poliment tout ce petit monde à nous laisser profiter du ballet. À la fin de la représentation, un grand jeune homme nous rejoignit, escorté de deux remarquables valets en livrée. Il se présenta sous le titre de comte de Luhant, ce qui ne m'était pas inconnu, et je lui demandai si un membre de sa famille avait été colonel dans les gardes du corps du roi. Il répondit que c'était son père. Je me trouvais en domaine de connaissance puisque ce dernier fut longtemps un assidu des soupers de mon hôtel de la rue des Petits-Carreaux. Le jeune homme le savait, c'était d'ailleurs pour cela qu'il nous conviait chez lui. La proposition était un peu abrupte mais la bonne mine de ce garçon et sa nouveauté m'engagèrent à accepter l'invitation – vous connaissez ma nature.
    Arrivé sur place, il me confia que son père était actuellement à Versailles pour son service auprès du roi car la récente dissolution de la compagnie de Jésus laissait craindre le geste d'un nouveau Damiens. Je dois préciser pour ma part qu'ayant été élève des Jésuites il me paraît fort exagéré de les voir derrière chaque complot. En outre, je suis la vivante preuve que leur discipline peut avoir du bon. Mais revenons chez M. de Luhant. Nous fûmes traités en amis de la maison jusqu'à très tard, presque en parents. Jeanne, sur mes conseils, ne repoussa pas les hommages du jeune homme ; toutefois, lorsqu'il s'avéra trop pressant, nous prîmes congé en lui promettant de le revoir bientôt. Simon nous ramena à la maison, et je confesse que le souvenir du manège du jeune de Luhant pimenta notre retour. La nature est ainsi : souvent la convoitise des autres alimente nos désirs.
    L'année 1765 débuta par un grand bal qu'il me prit l'envie de donner dans mon hôtel. Je prévoyais également d'assortir les réjouissances de deux ou trois tables de jeu car une idée m'occupait l'esprit depuis longtemps. Vous savez comment les cartes employèrent nombre de mes soirées. Je ne fus pas le seul en ce siècle à sacrifier à cette religion, vous ne l'ignorez pas non plus. Il me parut donc naturel d'imaginer établir dans ma maison un rendez-vous des mieux agencés pour cette manie. La chose avait l'avantage d'être plaisante et de donner un extérieur un peu plus discret au commerce de mes filles. Le bal fut en quelque sorte une inauguration de ce nouveau cercle de jeu. Je fis d'une pierre deux coups car cette initiative me valut par des moyens détournés l'occasion d'autres débuts. Ce soir-là, en effet, je tenais la banque sur un train d'enfer au pharaon et perdis en seulement quatre coups mille livres dont je fus débiteur auprès d'un certain Le Gué, premier commis à la Marine. Je disposais largement de quoi le payer, mais la présence de Jeanne m'inspira une manière différente de le rembourser. Pourquoi lui ? Pourquoi ce soir-là ? Je ne sais. Mais il fallait bien un commencement.
    La chose se passa le plus naturellement du monde. Je proposai à Le Gué de troquer ma dette contre le droit de s'entretenir avec Jeanne en quelque lieu qui lui serait agréable. Il n'était pas un gentilhomme mais le feignit fort convenablement en acceptant sans marchander. Il me restait à avertir Jeanne de la transaction. Je m'isolai avec elle dans ma bibliothèque.
    — Jeanne, comment se passe

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