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Pour les plaisirs du Roi

Pour les plaisirs du Roi

Titel: Pour les plaisirs du Roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Philippe Hugon
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famille. J'écrivis à Adélaïde, à qui je ne cachai – presque – rien, pour l'informer du détail de mon plan. Elle porterait à Lévignac le brevet, accompagné d'une lettre de ma part où j'expliquais sans trop m'attarder que le destin m'avait privé de leur compagnie pour de puissantes raisons auxquelles mon bon vouloir n'avait pu se soustraire. Je racontai ensuite une fable où je me donnai un très beau rôle et où je mélangeai un peu de tout ce qui occupa mes dix dernières années, mais en omettant l'essentiel. De cette soupe, je tirai le motif de mon silence pendant tout ce temps. Toutefois, ni la distance ni le temps ne pouvaient me les faire oublier. La preuve, aujourd'hui, je leur témoignais mon affection en faisant parvenir à mon fils ce brevet, ainsi qu'une somme de cinq mille livres pour subvenir aux besoins de la famille. Dans leur campagne, c'était bien suffisant. Je précisai enfin qu'il m'était impossible pour le moment de venir leur prouver mon attachement, aussi je leur demandais un peu de patience avant de nous revoir. Et puis, j'espérais bientôt de leurs nouvelles par Adolphe, mon fils, conclus-je.
    À d'autres, cette missive aurait donné des ailes pour venir voir à Paris de quoi il retournait, et surtout pour exiger des explications sur ma fugue. Cependant, je connaissais bien mes parents. Ce n'étaient pas mes sœurs qui auraient tenté le voyage, encore moins mon épouse, au fond d'elle-même possiblement heureuse de ma disparition. Quant à Guillaume, sa carrière dans la marine l'avait sûrement un peu dégrossi ; cependant, je le savais incapable d'une telle initiative. Malgré son ressentiment, l'argent que j'envoyai suffirait à le cantonner dans sa médiocrité.
     
    Les choses se passèrent comme je vous l'ai dit. À Lévignac, mon courrier surprit la maisonnée, bien plus que si on leur avait annoncé le retour des Rois mages, m'écrivit Adélaïde. Comme je l'avais supposé, mon frère et mes sœurs empochèrent les cinq mille livres, mais ne firent pas le moindre préparatif de départ pour venir demander la suite des comptes. Ils firent ce qu'ils savaient le mieux : attendre. Au début de septembre, mon fils prit le chemin de Versailles. Je le fis venir à Paris trois semaines plus tard, assez curieux de savoir à quoi il ressemblait. Nous nous rencontrâmes dans les jardins des Tuileries. J'étais avec Jeanne. Le garçon avait à peine seize ans, mais je dois avouer qu'il ne manquait pas d'allure. Belle taille, bonne mine, la jambe bien faite, il ne faisait pas honte à ma lignée. Au moins pour l'apparence. Au moral, il semblait en revanche avoir hérité de la tempérance de la famille de sa mère. D'un naturel doux, il plut beaucoup à Jeanne, qui a un faible pour les fragiles. Nous ne nous attardâmes pas. Et après lui avoir expliqué qu'il recevrait désormais de ma part deux cents livres par mois, il fila rejoindre son service à Versailles.
    La nature est curieuse. J'ai un fils – le seul reconnu, pour les autres, je n'ai pas d'avis –, mais je ne me suis jamais senti la fibre paternelle. Je connais des gentilshommes qui donneraient une fortune pour serrer sur leur cœur le fruit de leurs œuvres. À moi, cela m'importe sincèrement très peu. Avoir un enfant est une loterie dont rien ne garantit que le lot sera conforme à celui espéré. Et quand bien même répondrait-il aux attentes, il m'a toujours paru ridicule de souhaiter de sa progéniture qu'elle vous perpétue, voire qu'elle réussisse là où vous avez échoué. Comme si ces beaux espoirs pouvaient racheter les parents de leur médiocrité. Non, mon fils deviendra ce qu'il voudra : cela ne changera rien pour moi. Je ne lui en souhaite pas moins beaucoup de satisfactions, et bon vent pour la suite. Pas plus. Voilà pour clore le chapitre sur ma descendance.
    *
    Très vite, ma maison fut connue par la bonne société comme un endroit où l'on jouait gros jeu. La présence de Jeanne aimantait la curiosité, attirant chez moi amateurs de cartes et collectionneurs de bonne fortune, d'autant que mes autres protégées étaient aussi de la partie. Nous organisions trois fois par semaine des soupers à partir de neuf heures du soir, avant d'ouvrir une table dont je tenais généralement la banque pour débuter. Bientôt, la bonne réputation du lieu attira de nouveaux joueurs, si bien qu'il fut nécessaire d'aménager un autre salon afin d'installer deux ou trois tables supplémentaires. Jeanne allait

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