Pour les plaisirs du Roi
pas dans la maison. J'interrogeai les autres domestiques sans rien apprendre qui pût éclaircir ce mystère. Sa chambre était vide et on ne le découvrit nulle part. En plus de dix années à mon service, la chose ne s'était produite qu'à une ou deux reprises, mais il m'en avait prévenu chaque fois. Sur les coups de midi, il ne se montra pas même du côté des cuisines. Cela me sembla étrange, mais je ne m'en préoccupai plus jusqu'au soir. Je devais me rendre souper pour mes affaires chez un marquis bien connu d'une de mes protégées, et je demandai au fils de ma cuisinière de pallier la défection de Simon. Il était assez jeune mais pas trop mal tourné, cela fit l'affaire. Le lendemain, Simon ne se montra toujours pas. La chose devenait agaçante. Ou donc se terrait cette bête ? J'attendis à nouveau jusqu'au lendemain. En vain. Il resta introuvable. J'envoyai ma naine – elle se trouvait encore à mon service – dans quelques tavernes dont elle savait qu'il les fréquentait. Cela n'eut pas plus d'effet. Bref, au bout du troisième jour, je dus en conclure qu'il avait bel et bien disparu. Je ne fus pas inquiet, ce n'est pas le bon mot, plutôt contrarié. Il est toujours désagréable de perdre quelque chose qui vous est utile. Et même si à Paris les valets sans emploi battent le pavé, il me rebutait de devoir en recruter un autre. Dans mes activités, on ne peut engager n'importe qui. Simon était un médiocre, mais j'y étais habitué, et surtout je le savais tout entier soumis à ma loi – jusqu'à cette fugue. Car chez cette engeance qui peuple nos maisons, il y a de plus en plus de petits messieurs qui se piquent de raisonner quand ce n'est pas de vous voler. Pour cela, avant de me mettre en chasse d'un nouveau valet, je sollicitai Nallut afin qu'il me trouvât deux ou trois bougres à qui je promis cinq louis pour se mettre sur la piste de Simon. C'est beaucoup pour ce pendard, mais toujours moins que les soucis du choix d'un remplaçant. Et puis j'avoue que cette disparition m'avait surpris et qu'il m'intéressait d'en connaître la suite.
Deux jours plus tard, je revenais de Compiègne quand je trouvai chez moi Nallut et un des limiers qu'il avait engagé. Le bonhomme m'expliqua à ma grande surprise qu'un nommé Simon, de forte taille et d'une carrure en rapport, avait été aperçu plusieurs fois en compagnie d'une certaine Louison, habituée du miteux bordel de la Rampeau, près de la Bastille. Aux dires de mon espion, elle habitait dans une impasse non loin de là. Il s'y était rendu, ne vit personne, mais gardait un collègue aux aguets au cas où il y aurait du neuf. Je lui donnai deux louis pour sa peine, et le reste à venir. Le lendemain, il revint aux aurores, l'air plutôt content de lui. Il me confirma la description de Simon qu'il avait lui-même vu entrer dans le taudis de la fameuse Louison. Il ajouta un détail amusant : elle devait avoir près du double de l'âge de mon valet. Je restai, je l'avoue, presque bouche bée. Qu'était-ce donc que cela ? Simon en ménage avec une catin qui aurait pu être sa mère, voilà qui valait le détour. Et je ne me privai pas de me rendre le soir même chez la Rampeau pour faire un peu l'espion à mon tour.
La Rampeau tenait un genre de bordel dont j'ai parlé quelques fois dans ces pages, et qui avait pour principale vertu d'attirer des êtres, femmes et hommes, plus vils que la moyenne. On n'était pas encore ici parmi la lie, mais on s'en approchait suffisamment pour en reconnaître l'odeur. Les pensionnaires s'y recrutaient dans le rebut des maisons un peu mieux achalandées : il se trouvait là surtout des filles d'un âge avancé, aux minois très médiocres, ce qui expliquait qu'elles n'avaient pas fait recette dans leurs débuts. Toujours pauvres, leur jeunesse passée, il ne leur restait plus qu'à continuer dans ces minables bordels, avant d'achever la carrière dans des bouges plus sordides encore. Beaucoup étaient déjà malades ou vérolées, mais elles offraient l'avantage de ne pas coûter cher, comme d'accepter à peu près tous les caprices de leurs clients. Il arrivait d'ailleurs assez souvent qu'on assassinât quelques-unes d'entre elles. La police ne menait jamais d'enquête, ces pauvres filles n'intéressant personne.
Je m'installai dans un miteux salon du premier étage d'où l'on pouvait observer le ballet des pensionnaires qui allaient et venaient avec leurs clients. J'y étais depuis une heure, repoussant
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