Pour les plaisirs du Roi
Simon. Il est bien gentil et sait se rendre utile.
— Il travaille ?
— Oh non ! Je ne veux pas.
— Ah bon ?
— J'ai assez pour nous deux. Et le jour où je me retirerai, il sera là pour s'occuper de moi.
— Tu crois cela ?
— J'en suis certaine. Il me l'a dit.
— Je vois. Veux-tu que je te dise pourquoi je suis là ?
— Eh bien, au début j'ai pensé que c'était pour… enfin vous voyez. Mais maintenant avec toutes vos questions, vous m'inquiétez. Simon est un parent à vous ?
Je me retins de la gifler.
— Non, mais il m'est cher, si l'on peut dire.
— Ah, tant mieux…
— Oui, et tu vas avoir l'occasion de me prouver que tu l'aimes bien aussi.
— Ah… ?
— Voilà, écoute et ne dis rien. Tu vois cette bourse ? Elle contient vingt louis. Ils sont à toi si tu chasses Simon de ta maison.
— Chasser Simon ? Mais je ne veux pas !
— Mais moi je le veux !
— Il est à moi, je le garde, dit-elle en faisant mine de se lever.
Je la saisis par un poignet et la forçai à se rasseoir.
— Écoute-moi bien, vieille ivrognesse, dis-je en la fixant droit dans les yeux. Tu feras ce que je te dis ou tu n'auras rien. Et en plus, je te ferai jeter à la porte de cette maison : la Rampeau ne refusera pas vingt louis pour te faire décamper. Il paraît qu'elle ne t'a pas dans son estime. À ton âge, il ne te restera plus qu'à te vendre aux lépreux des hospices. Si tu m'écoutes, je te donnerai cette bourse et pendant une année je ferai porter ici vingt-cinq livres à ton attention chaque mois.
Les yeux de Louison se remplirent de larmes. Elle tenta de me faire croire qu'elle aimait Simon, me raconta quelques fables très mal troussées, essaya même de me séduire. Évidemment, rien ne m'émut. Elle se lamentait surtout de perdre un gaillard tout acquis à sa misérable cause.
— Ne pleure pas. Et remercie-moi. Simon t'aurait quittée de toute façon. J'oubliais : quand tu le chasseras, demain par exemple, dis-lui seulement qu'un autre va le remplacer. Ne parle de rien d'autre. As-tu compris ?
Dans un sanglot, Louison acquiesça. Je lui tendis la bourse. Elle la saisit d'une main tremblante, mais en défit les cordons dans l'instant pour vérifier ce qu'elle contenait. Connaissez-vous des amoureuses qui vendent leur fiancé pour vingt louis ? Voilà pour ceux qui trouveraient mes manières cruelles. Avant de partir, je lui payai une autre bouteille d'eau-de-vie pour qu'elle étanchât sa peine.
Il ne fallut pas deux jours de plus pour qu'on vienne m'avertir du retour de Simon dans ma maison. Je décidai de ne pas le convoquer. Il vint de lui-même faire amende honorable en baragouinant un brouet d'excuses dont je fis semblant d'être dupe. Toutefois je m'amusai à lui en demander un peu plus de détails. Simon m'expliqua qu'une semaine plus tôt, il s'était trouvé subitement mal dans une auberge près de la Bastille, sûrement à cause d'aliments corrompus. Il avait alors été secouru par une brave vieille qui lui avait prêté une chambre pour qu'il se remît. Sa fièvre empira jusqu'à le faire délirer, ne le quittant qu'au bout d'une semaine, continua-t-il. Enfin, il s'excusait de n'avoir pu m'avertir tout ce temps mais son état en était la cause. On voit que le bougre savait arranger les histoires. Je voulus voir jusqu'où il possédait cet art.
— As-tu bien pensé à remercier cette vieille femme pour sa sollicitude ?
Simon eut un temps d'arrêt et me regarda étrangement.
— J'ai voulu lui offrir les quelques livres dont je disposais mais elle les a d'abord repoussées.
— Sainte femme…
— Oui, elle était bien douce… dit-il en soupirant. Mais comme j'insistais, elle les a enfin acceptées.
— Elle en fera bon usage, c'est certain. Que cela te serve de leçon. Garde-toi de manger n'importe où, désormais. De toute façon, tu n'en auras pas l'occasion avant longtemps car je supprime tes gages pendant trois mois. Tu m'as coûté cher : je t'ai fait chercher, on a dû te le dire.
— J'en suis bien désolé, je vous fais mes excuses, marmonna Simon en rentrant sa petite tête dans ses épaules comme chaque fois que je le réprimandais.
— Bon, il suffit maintenant : disparais ! Mais pas trop loin, c'est compris ?
Simon opina humblement du chef avant de déguerpir.
J'espère avoir satisfait ceux que la vie de mon valet captive. Vous savez maintenant qu'il était capable de mentir à son maître. Je ne l'estimais pas au-dessus de ce travers, loin s'en faut
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