Pour les plaisirs du Roi
chemin.
On gagera que la remarque m'enchanta. D'ailleurs, quelques jours plus tard, le roi fit remettre à Jeanne trois cents louis et deux petits diamants de la plus belle des factures. J'empochai deux cents louis et fis monter les deux pierres sur une bague par un joaillier du Palais-Royal – pas celui dont il fut question plus haut. Jeanne la porta ensuite lors d'une de ses visites au souverain : il fut enchanté de voir le bon goût avec lequel on avait traité son cadeau. Sa confiance en fut plus accrue encore.
Puisqu'il est question de confiance, il me faut vous entretenir d'une petite mésaventure qui m'inquiéta passablement mais dont je ne puis faire l'économie de vous raconter le détail, ne serait-ce que pour faire taire les racontars à ce propos. Je vous ai dit précédemment la belle santé de Jeanne à un endroit dont les galants ont un usage régulier. On sait que, dans des commerces comme les nôtres, le moindre doute à ce sujet gâche souvent la sauce, si je puis dire. Justement. Si Jeanne ne présentait aucun signe d'une quelconque corruption, une vilaine chaude-pisse me contraignit pour ma part à garder le lit plus de deux jours au début du mois de juin. J'avais déjà eu de ces affections, et hormis qu'elles se portaient également sur mes yeux – je les traitais par des compresses de pommes cuites –, les crises duraient peu et s'évanouissaient comme elles étaient venues. Reste qu'au chapitre des désagréments, ces symptômes se propageaient parfois à mes conquêtes intimes. Vous commencez à comprendre, d'autant qu'il vous revient que Jeanne ne se refusait pas à moi lorsque je la visitais à Versailles. Bref, pour faire court, j'eus quelque temps la franche inquiétude qu'elle n'eût attrapé mon mal, mais surtout qu'elle en ait fait don au roi. La chose aurait été fatale à notre affaire, Louis XV étant encore plus épris de sa santé que de l'amour. Mais finalement, les jours passèrent et les flèches empoisonnées de Cupidon épargnèrent leur cible, à mon grand soulagement. Je tenais à cette digression, où je ne suis certes pas à mon avantage, mais qui apportera une réponse à ceux qui pourraient continuer à penser – et à répandre – que le corps du roi fut à cette époque la victime de mes vices. Je sais d'où vient cette infamie, et cela me donnera l'occasion d'y revenir.
Les services de M. de Sartine, toujours diligent quant à tout ce qui pouvait nuire à M. de Richelieu, tirèrent bientôt profit de quelques indiscrétions de son entourage. Les langues se déliaient, et ceux qui avaient vu Jeanne en compagnie du duc firent le rapprochement avec les rumeurs qui couraient les salons de Versailles. Des rapports furent secrètement envoyés à M. de Choiseul. Ce dernier n'avait pas encore de certitudes, toutefois les renseignements de sa sœur, la duchesse de Grammont, se faisaient également chaque jour plus précis. Vint le moment où il apprit la vérité de la bouche d'un homme qui la connaissait au premier chef : Lebel 22 . Le valet de chambre, mû par je ne sais quel désir de vengeance, s'en ouvrit à lui un jour où il faisait antichambre chez le roi. Le ministre y patientait depuis une heure quand Lebel lui dévoila pourquoi l'attente était si longue : le souverain était occupé avec Jeanne à d'autres entretiens. La suite ne manque pas de sel. Rentré à son ministère, Choiseul piqua une colère qui fit trembler les murs. Il convoqua Sartine pour lui faire part de la nouvelle : celui-là aussi fut bien reçu. Choiseul s'emporta, cria, injuria presque, et reprocha tout son saoul avant de congédier son monde. Il se rendit ensuite chez sa sœur pour ruminer sa rage. J'ai su tout cela grâce à un de mes amis bien en place près de M. de Sartine – un habitué de ma maison qui me devait beaucoup d'argent et dont je pense qu'il en relatait autant sur ma personne à son maître que ce qu'il me confiait sur lui.
Nous en étions là quand, à la moitié du mois de juin, la reine tomba malade. Il ne me semble pas avoir déjà fait allusion à elle au cours de mon récit. Ou très peu. Qu'en dire ? Sa chance et son malheur furent d'épouser son mari. Fille d'un roi sans couronne, Stanislas Leszczynski de Pologne, elle se retrouva unie à l'héritier du trône de France par la grâce d'un complot de Cour alors qu'elle avait vingt-deux ans et aucune fortune mais un ventre à faire valoir. À cette époque, le roi avait seize ans. Il donnait des signes
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