Pour les plaisirs du Roi
ministre : il a le don de démêler les affaires les plus difficiles. Avec lui, Sa Majesté n'a qu'à choisir, jamais à réfléchir.
— Il sert surtout ses propres intérêts, répliqua M. de Richelieu.
— C'est vrai, reprit le prince. Et cela m'ennuie fort, car je n'ai pas les mêmes. Prenez son alliance avec l'Autriche contre l'Angleterre et la Prusse : elle est désastreuse pour la France. Nous nous trompons d'ennemis. Le roi a tort de laisser faire. Et puis, ces chicanes avec les parlements ne mèneront à rien, il faut cesser.
Les idées de M. de Conti n'étaient pas dans le registre de celles de M. de Richelieu, mais il se garda de répondre. Il opina vaguement, attendant la suite. Elle ne fut pas décevante.
— Bref, dans cette affaire, Mlle de Vaubernier aura besoin d'alliés à la Cour si elle veut durer. Car c'est bien à la Cour que vous voulez l'installer maintenant, n'est-ce pas ?
— Le roi décidera, dit M. de Richelieu.
— Le roi ? Allons, cher duc, vous savez comme moi que Louis ne décide de rien. Il faudra un peu lui forcer la main. Avec tact, mais cela, vous saurez le faire. Entre-temps, il serait dommage qu'on vienne troubler ce joli dessein. Je vous le redis, Mlle de Vaubernier a besoin d'alliés.
— Et à qui pensez-vous ? se lança le duc.
— Votre présence chez moi est déjà un indice.
— On vous voit peu à la Cour. Et il me semble que vos avis ne sont pas de ceux dont s'enquiert le roi, lâcha le duc d'un air narquois.
— Mon cousin me craint : c'est ma manière d'avoir de l'influence sur lui, rétorqua sèchement le prince.
M. de Kallenberg sortit de son mutisme :
— Le prince ne va pas à la Cour, mais il y compte beaucoup d'amis sûrs.
— Comme vous ? ne pus-je m'empêcher de répondre.
— Monsieur le comte, me lança le prince, il va falloir apprendre à être plus docile si vous voulez voir votre Mlle de Vaubernier devenir quelque chose. Elle n'est encore qu'une petite maîtresse. Vous savez l'opinion dans ce pays sur les favorites.
— Surtout quand elles viennent de nulle part, ajouta Kallenberg.
Je repoussai vivement ma chaise en arrière pour me lever, mais M. de Richelieu posa sa main sur mon bras en manière d'apaisement. Le prince s'amusa de ma colère :
— M. de Kallenberg ne pensait pas à mal. Toutefois, il faut admettre que le passé de Mlle de Vaubernier prête à cancaner.
— Le roi est au courant de tout, avançai-je.
— De tout ? Je ne pense pas, dit le prince. Mais c'est vrai, je crois le roi d'humeur magnanime avec Mlle de Vaubernier. En revanche, d'autres s'en accommoderont moins bien. Tenez, il me suffirait de faire les gros yeux pour tout renverser. Une nouvelle Pompadour en exaspérerait beaucoup chez les dévots et dans les parlements. Et le roi ne choisira jamais l'amour contre le risque d'une fronde, croyez-moi.
Le prince venait d'abattre ses cartes. Il n'aimait pas les dévots, mais leur cause devenait la sienne si elle nuisait au roi. Les parlements l'indifféraient, cependant leur fronde les lui rendait utiles. Encore et toujours, ce prince ne vivait que pour déplaire à son royal cousin. Et dans sa forteresse du Temple, son argent comme ses relations lui permettaient de donner corps à de puissants complots s'il le désirait. Pour notre part, nous avions encore peu de soutiens ni même de certitudes. M. de Choiseul ne tarderait certainement pas à lancer une offensive contre Jeanne, et il eût été catastrophique de se trouver également sous le feu d'une autre coterie. Nous ne pouvions donc pour l'heure ignorer la menace du prince. Il le savait. Il fallait composer ; le duc prit la parole :
— Votre attachement à la cause de Mlle de Vaubernier nous émeut. Et nous en serions même honorés si toutefois, nous ne craignions que le prix de cette sympathie ne soit par trop exorbitant.
— Cher duc, nous sommes entre gentilshommes. Mlle de Vaubernier est votre affaire : je n'exige rien d'autre qu'un peu de son influence auprès de Sa Majesté.
— Elle n'en a pas, et n'en réclame pas, dis-je.
— Si tout se passe bien, elle en aura un jour prochain, me rétorqua le prince.
— Ce sont là vos conditions pour vous tenir sage ? interrogea le duc.
— Des conditions… le mot est fort. Mais disons qu'avec cette promesse de votre part Mlle de Vaubernier pourra se prévaloir du soutien d'un prince du sang. Et je ne doute pas que, le jour venu, elle sera de très bon conseil pour mon cousin.
— Ne vous méprenez pas,
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