Pour les plaisirs du Roi
le prince soliloquait sur le gouvernement, la France et la rébellion des parlements. M. de Richelieu s'exprima également sur ces sujets, tandis que Kallenberg et moi-même restâmes silencieux. Tout à coup, le prince m'interpella plus directement :
— Monsieur le comte, est-ce à vous que nous devons la nouvelle lubie de mon cousin ?
— C'est-à-dire ?
— On me parle d'une charmante jeune femme, une certaine Mlle de Vaubernier, qui occupe depuis quelques mois les soirées, je devrais dire les nuits, du roi. Il paraît même qu'elle est arrivée à le désennuyer.
Le duc de Richelieu prit un air incrédule, et je m'apprêtais à en simuler autant quand le prince reprit :
— Cette jeune personne ne serait-elle pas celle que vous me cachez ? Car si je me souviens bien, je vous l'ai réclamée en vain voilà quelque temps.
Il ne servait à rien de nier plus avant, mais je tentai une diversion :
— Mlle de Vaubernier est en effet une de mes élèves, mais j'en possède quelques autres que vous ne connaissez pas non plus. Je serais flatté qu'elles puissent venir en ces lieux faire valoir leurs talents.
— Merci, merci, cher comte. Une autre fois, sûrement. Mais revenons à Mlle de Vaubernier. Elle me semble très précieuse, insista le prince.
— Elle a du talent, c'est vrai, répondis-je.
— Et beaucoup d'entregent, continua le prince.
— Un peu, certes.
— Une jeune femme de sa condition ne pêche pas dans les eaux de Versailles sans de solides appuis.
— Elle a de la ressource.
— Et de gentils parrains, s'amusa le prince.
Depuis le début du souper, Kallenberg prenait grand soin de ne pas croiser mon regard. Il regardait fixement devant lui, si bien que lorsqu'il parla je ne compris d'abord pas qu'il s'adressait à moi :
— On murmure à Versailles que Lebel se mord la main d'avoir fait rencontrer Mlle de Vaubernier à Sa Majesté. Le saviez-vous ?
Ce fut M. de Richelieu qui répondit :
— Lebel se prend parfois pour le Régent. Le roi décide seul de qui il veut voir et son valet de chambre l'a un peu oublié.
— Certains se sont d'ailleurs opportunément chargés de le lui rappeler, dit le prince en me regardant.
Kallenberg allait à nouveau parler quand le prince lui intima d'un geste de n'en rien faire.
— Je pense, M. de Kallenberg, qu'il me faut être plus direct avec nos invités, dit le prince. Nous sommes ici en sûreté et nos petits secrets ne risquent pas de sortir d'entre ces murs. Bref, je sais, messieurs, que si Mlle de Vaubernier est à cette heure le réconfort de mon royal cousin, c'est à vous qu'elle le doit.
— C'est nous prêter des talents de magiciens, le coupai-je.
— Oh, monsieur, pour les sortilèges et les philtres, je vous sais connaisseur. Mais il n'y a nulle magie là-dessous. M. de Kallenberg a suffisamment obtenu de Lebel pour me convaincre de ne pas vous soupçonner de sorcellerie. Non, tout cela est bien humain et je dois dire une belle manœuvre, ma foi. Le siège n'aura pas trop duré : nous avons connu pire en Allemagne, n'est-ce pas, monsieur le maréchal ?
Le duc de Richelieu répondit d'un sourire un peu crispé. Le prince de Conti savourait notre malaise. Il était évident qu'il entendait tirer parti de la situation. Mais comment ? Nous n'allions pas attendre longtemps avant de le savoir.
Le prince s'adressa de nouveau à moi :
— C'est le souhait de beaucoup d'avoir près du roi une bonne amie sur qui compter.
— Cela peut parfois rendre de petits services, c'est vrai, mais guère plus loin, avançai-je.
— Monsieur le comte, pardonnez-moi, mais je lis dans votre jeu, dit le prince.
Kallenberg toussota légèrement. Le prince reprit :
— Mon cousin ne sait rien refuser à une femme qui l'enjôle. Et celle-ci est de première force, semble-t-il. Si elle s'installe durablement, ses petits services, comme vous dites, pourraient vous valoir de grands bénéfices. Et qui sait, monsieur le duc, peut-être une place de ministre ? Vous le savez, je le sais, et M. de Choiseul le sait. Il ne vous aimait pas avant, il m'étonnerait que cet exploit vous gagne sa sympathie.
— C'est aujourd'hui le cadet de nos soucis, intervint le duc.
— Comme vous y allez, cher duc. Je vous reconnais là, les années n'ont pas modéré votre fougue. Mais méfiez-vous. Si votre Mlle de Vaubernier est dans le lit de Louis, Choiseul, lui, est dans l'estime du roi. Rassurez-vous, ce n'est pas mon ami non plus. Il me dérange car c'est un bon
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