Pour les plaisirs du Roi
Jeanne n'entend rien à la politique, insistai-je.
— Oh, encore une fois, soyez tranquille. Il suffira de brèves choses : souffler un nom pour une belle fonction, médire ingénument de tel ou tel ministre, ou bien encore me rapporter quelques menus secrets. Voilà, rien de plus…
— Le roi ne goûte guère les espions, encore moins dans son lit, objectai-je.
— Nous sommes quatre ici. Cinq avec Mlle de Vaubernier. Vous comme moi n'avons aucun intérêt à ébruiter ce petit arrangement. Votre protégée encore moins.
— Et M. de Kallenberg ? répliquai-je sans ménagement.
— Décidément, vous avez la rancune solide. M. de Kallenberg m'est loyal depuis plus de quinze années. Les services qu'il m'a rendus le mettent au-dessus de tout soupçon, j'en suis garant. Cela vous convient-il ?
— Peut-on faire autrement… lâcha le duc passablement contrarié de devoir signer un pacte qui nous mettait en partie sous la coupe du prince.
— Ne soyez pas chagrin, monsieur le duc, répondit le prince. Mlle de Vaubernier comptera bientôt au nombre de ces femmes qui s'y entendent pour régner sur les monarques de ce pays. En toute honnêteté, je le regrette : l'abaissement du trône nous vaudra un jour d'en payer les conséquences. Mais pour l'heure, vous comme moi pouvons obtenir de belles compensations de cette décadence. Mlle de Vaubernier vous servira, et m'aidera à sauver ce qui peut l'être. C'est là une alliance où il n'y a que des bénéfices à prendre.
— Vous avez l'art de présenter les choses, dit le duc en se levant de table. Mais ne précipitons rien. La situation de Mlle de Vaubernier est encore bien fragile.
— Vous avez raison. Laissons-la s'installer et prendre cette place que vous rêvez pour elle. Vous avez, j'imagine, quelque idée pour l'introduire à la Cour ?
— Peut-être… mais il est encore trop tôt pour en parler, expliquai-je laconiquement.
— Je vous fais toute confiance à cet endroit. D'ailleurs, vous aurez peu de mes nouvelles avant que mon cousin ne l'invite à monter dans son carrosse. Ce jour-là, votre créature sera la maîtresse en titre, à peu près une reine. Gageons qu'elle saura se souvenir de ses amis…
Nous quittâmes l'enclos du Temple encore abasourdis du traquenard où nous venions de tomber. On nous avait mis la dague sur le cœur. J'étais d'autant plus agacé que la présence de Kallenberg dans ce guet-apens devait lui donner le sentiment de s'être vengé de moi. Le duc aussi s'avouait échauffé car il guignait un rôle d'influence grâce à Jeanne, peut-être même un puissant ministère, et les ambitions du prince contrariaient les siennes. Mais que faire ? Le prince avait pénétré nos projets : sa détermination à nous nuire conseillait de ne pas négliger sa proposition. Tant pis. Jeanne était notre machine de guerre, mais il fallait accepter qu'elle pût également œuvrer pour d'autres. Au moins un temps. Car je vous dirais quand même qu'il était dans ma volonté de me défaire au plus tôt de cette encombrante tutelle. Cependant, l'heure était à la raison. Et l'urgence commandait de trouver un astucieux artifice pour permettre à Jeanne de figurer à Versailles. Sur le chemin du retour, je m'en ouvris à M. de Richelieu :
— Ce contretemps ne doit pas nous faire oublier les suites de notre plan. Nous devons maintenant pousser Jeanne à la Cour.
— La maison de Vaubernier me semble un peu neuve pour cette ambition, me répondit le duc, fort circonspect.
— Justement. Il lui faut un nom, dis-je.
— Un nom ? Elle en a un.
— Je parle d'un nom de qualité. De ceux qui ouvrent des portes.
— J'entends bien. Mais à moins de lui broder une belle naissance…
— Quelques ateliers de ma connaissance pourraient lui faire des ancêtres jusqu'à Noé, mais cela est périlleux, répondis-je.
— Pour sûr, nos ennemis ne seraient pas longtemps dupes. Alors… comment faire ?
— De la façon la plus naturelle qui soit.
— Je ne vous suis pas…
— Il faut la marier. Tout simplement.
— La marier ? Mais vous perdez la raison, mon ami. Et le roi…
— Il nous faut une noce mais pas d'époux.
— Le vin du prince vous a tourné la tête… expliquez-vous.
— Résumons : Jeanne est de l'extraction que l'on sait. À défaut de lui trouver des parents titrés, donnons-lui un nom de condition. Et je ne vois qu'un bon mariage pour acquérir des lettres de noblesse.
— Mais quel gentilhomme acceptera de se marier
Weitere Kostenlose Bücher