Pour les plaisirs du Roi
La nouvelle fut un coup de tonnerre. La Cour l'apprit au retour de Compiègne, et il ne fut désormais plus question que de cette faveur qui désignait Jeanne pour autre chose qu'une passade.
Cette fois, le parti de M. de Choiseul ne resta pas sans réagir. On me rapporta le soir même qu'une petite musique commençait de se faire entendre jusqu'à Paris. De bonnes âmes sûrement stipendiées se mirent en devoir de jaser sur les circonstances de la fin de Lebel. On lui trouva une mort un peu trop brutale, et sur le mode de la plaisanterie, quelques-uns estimèrent qu'il avait quitté les lieux à point nommé. On rappela aussi comment il regrettait de s'être fait l'ambassadeur de Mlle de Vaubernier. Bref, il ne fallut pas longtemps pour qu'il se propageât une méchante rumeur dans laquelle j'avais bien sûr un rôle. Et pas des moindres. Une calomnie est d'autant plus terrible quand elle se bâtit sur un début de vérité. C'est vrai, une fois le mois, je faisais livrer à Lebel – ou je m'en chargeais moi-même, comme vous le savez – des préparations dont il raffolait. Il m'arriva aussi de lui confectionner quelques filtres qui lui étaient une précieuse béquille. À part cela, rien, mais le bougre avait dû s'ouvrir à d'autres de mes petits cadeaux, car on persifla rapidement à mon sujet des choses dont vous vous doutez. Toutefois, en ce genre d'accusation, il faut des preuves. Mes diffamateurs étant bien en mal d'en produire, et pour cause, je me résolus à ne pas m'en préoccuper 23 , certain que j'aurais bientôt tout le loisir de me venger de mes ennemis.
Jeanne épousa mon frère le premier septembre 1768, à l'aube. Il ne m'avait pas fallu plus de quinze jours pour tout arranger. Une demi-douzaine de personnes seulement assista au mariage en plus des deux époux, dont mes deux sœurs, la mère de Jeanne, mon fils, le curé, et moi-même en qualité de témoin. Trois ou quatre vieilles bigotes habituées de la première messe du matin furent bien surprises de notre présence, mais se firent discrètes. La cérémonie fut brève.
Après la bénédiction, je décidai d'emmener tout ce petit monde chez moi. Jeanne était éblouissante, comme à l'habitude. Elle avait maintenant achevé sa mue. La jeune femme qui quatre ans plus tôt se laissait brocanter par son misérable associé était bien loin. Elle pouvait désormais se prévaloir du titre de comtesse. Comtesse Jeanne du Barry, voilà qui sonnait bien. Guillaume ne resta d'ailleurs pas insensible à l'éclat de sa nouvelle femme. Il paraissait tout émerveillé d'être là, jouant son rôle avec beaucoup de sérieux, et même de solennité, je dois dire. Pour l'occasion, je lui avais fait confectionner un habit à la mode. Jeanne se montra très aimable avec lui, ainsi qu'avec mes sœurs. Ces dernières, habituellement si acariâtres, trouvèrent également Jeanne à leur goût.
Une fois que nous fûmes rentrés, je révélai à mon frère les dispositions prévues par le roi à son égard.
— Guillaume, tu te présenteras demain à Versailles chez M. de Gagny où l'on te remettra un titre de rente de vingt mille livres annuelle. Es-tu satisfait ?
— Cela pourrait contribuer à me satisfaire, en effet, dit-il d'un ton qui me déplut.
Je pressentis qu'il manigançait quelque chose.
— Ta peine est bien récompensée, ne trouves-tu pas ? insistai-je.
— En partie, certes. Toutefois, j'attends mieux.
— Mieux ?
— Oui. J'estime que notre nom vaut bien plus qu'une aumône.
— C'est-à-dire, mon cher frère ? dis-je en déguisant la colère qui m'envahissait.
— Eh bien, tu sais que j'ai été quelque temps dans l'armée. J'ai dû la quitter pour une méchante fièvre que j'ai attrapée aux îles. Je voudrais que l'on m'en dédommageât par la croix de Saint-Louis.
— Cela sera difficile. Il faut la mériter par une action d'éclat.
— Je la mérite. Ce n'est pas le roi qui dirait le contraire. Je sacrifie mon épouse à son bon plaisir. Ça vaut une blessure sur un champ de bataille.
La chose aurait été comique s'il ne m'avait asséné sa demande d'un air d'arrogance.
— Je verrai ce qu'il est possible de faire, dis-je pour clore le sujet.
— Il vaudrait mieux. Et puis, il y a autre chose. Je veux également que ma rente soit doublée.
— C'est impossible.
— Impossible ?
— Oui, c'est le roi qui en a décidé. C'est définitif.
— On verra ça. Après tout, je pourrais bien décider d'interdire à ma
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