Pour les plaisirs du Roi
le reste de la famille, la nouvelle de ce voyage mit sens dessus dessous la maisonnée. D'autant que je fixai notre départ au surlendemain. Je ne voulais pas rester éloigné trop longtemps de Paris et pour aller plus vite, je décidai de louer une berline et ses cochers. On le voit, je ne lésinai pas sur les moyens. De son côté, Guillaume avait peu à peu fini par se convaincre qu'il n'y avait pas de risques de croire à ce rêve éveillé. Au pis, il ferait un voyage à Paris à mes frais et trouverait bien le moyen de m'extorquer quelques aumônes supplémentaires pour sa peine. Au mieux, il en reviendrait riche. Chon et Bischi firent à peu près le même calcul. Bref, deux jours après mon retour à Lévignac, la famille du Barry prit le chemin de Paris en grand équipage.
Durant notre périple, j'expliquai en détail à Guillaume ce que l'on attendait de lui. Il se montra assez bien disposé, presque trop, ce qui ne fut pas sans m'inquiéter. Bischi, elle, répétait à l'envi qu'elle resterait bien quelque temps à Paris et peut-être à Versailles, puisque sa belle-sœur y avait ses entrées. Elle apprenait vite. Chon, en revanche, demeura circonspecte tout le voyage, mais m'étonna par une clairvoyance qu'elle n'avait certainement pas quinze ans plus tôt. Durant toutes ces années, en même temps que son dos se courbait, son esprit se redressa. J'appris que ce fut elle qui dirigea nos affaires, retardant autant qu'elle le put le naufrage du domaine. Finalement, ma fugue lui avait été profitable, et il m'est d'avis qu'elle m'en était secrètement reconnaissante.
Le trajet fut un peu plus rapide qu'à l'aller : nous entrâmes à Paris le jour de la fête de la Vierge. Que les dévots me pardonnent mais j'y vis un heureux présage. Restait maintenant à préparer le mariage. Le lecteur comprendra qu'en devenant le beau-frère de Jeanne, je trouvais une solution à mes problèmes, en même temps que je me l'attachais pour la vie. Sans parler de la reconnaissance du roi et de ma légitime prétention à le considérer bientôt presque comme un parent. Vous sursautez ?
Chapitre XXXII
I l y a dans l'existence des coïncidences surprenantes. Deux jours seulement après mon retour à Paris, Dominique Lebel trépassait d'une crise hépatique. Il s'était plaint de vives douleurs au ventre après un repas en compagnie de deux jeunes femmes dans son appartement de Versailles. On fit appeler un médecin qui prescrivit une saignée pour soulager le foie. Elle n'eut pas l'effet escompté : le cœur de Lebel céda moins d'une heure plus tard.
Le roi fut informé le lendemain matin, s'en montra contrarié, mais joua fort gaiement aux cartes avec Jeanne ce soir-là. Jugez de mon étonnement, mais surtout de ma satisfaction de voir ainsi un fâcheux définitivement empêché de nuire. Je sais, ce n'est pas charitable de se réjouir de la mort d'un pauvre bougre. Mais celui-là m'indisposait depuis assez longtemps pour qu'on m'accorde le droit de ne pas pleurer sa fin. Et puis, Lebel disparu, le risque de voir le roi se détourner de Jeanne pour une autre diminuait d'autant. Mieux, la nature anxieuse du monarque pouvait désormais lui faire craindre de perdre Jeanne sans pouvoir espérer la remplacer, son âme damnée n'étant plus là pour lui rabattre des morceaux de choix. La place était à prendre sans tarder.
Durant mon absence, Jeanne était restée à Compiègne et se rendait tous les soirs chez le roi. Comme je vous l'ai dit, je l'avais dotée de deux superbes domestiques qu'on prit l'habitude de voir toutes les nuits attendre près de la demeure royale. La publicité de la liaison de Jeanne et du souverain n'en fut que meilleure : les rumeurs battirent leur plein jusqu'à Paris. Le roi s'en amusait, s'avouant même en privé assez content de faire des jaloux. Jeanne me rapporta qu'il lui parlait de plus en plus souvent de son désir de la voir à son gré, sans qu'elle n'eût à déguiser ses visites. Il demanda un jour franchement au duc de Richelieu s'il n'y avait pas un moyen de remédier à cela. Le duc répondit malicieusement qu'on pourrait travailler à trouver une solution s'il le souhaitait. Il ne répondit pas non. Et quelques jours avant mon retour avec ma famille, l'assentiment du roi à un arrangement de la nature de celui que je préparais fut complet :
— Mariez-la bien. Et ne me trouvez pas un nouveau Montespan, ordonna-t-il au duc.
On sait que M. de Montespan s'accommoda très mal
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