Pour les plaisirs du Roi
femme de…
— Guillaume, fais attention, le coupai-je.
— Et pourquoi donc ? D'ailleurs, mon épouse me doit obéissance, non ?
— Tu as lu le contrat de mariage que tu as signé ?
— Oui, oui, j'ai bien vu qu'on y bafoue le rôle de l'époux. Mais tout cela ne tiendra pas si je me pique de le contester.
Cette fois, je ne pus plus retenir ma rage.
— Suis-moi, lâchai-je en l'empoignant par le bras avant de le conduire vigoureusement dans mon cabinet, dont je fermai la porte à clé.
— Guillaume, écoute bien ce que je vais te dire. Je ne le répéterai jamais. Je ne te parlerai ni de ton ingratitude ni de ton arrogance. J'ai été te chercher dans ton trou merdeux pour te donner une chance inespérée. Qu'il soit bien entendu que désormais Jeanne porte notre nom. Tu as signé. Tes menaces ne me concernent donc plus. Elles s'adressent à Jeanne et au roi. Et sache bien qu'il tient plus à elle qu'à son mari. Suis-je assez clair ?
— Tu me menaces ?
— Moi non, mais je ne peux répondre de ce qui arrivera si tu persistes dans ta mauvaise volonté.
Mon frère resta un moment songeur. Il se savait peu de taille à soutenir un quelconque affrontement. Encore moins contre le roi.
— Pourquoi dois-je rentrer à Lévignac ? demanda-t-il d'un ton radouci.
— Pour ton bien. Fais-toi oublier quelque temps. Et puis tu peux t'installer à Toulouse. Avec vingt mille livres de rente, tu devrais y trouver à t'employer.
— Il n'y a pas d'autre solution ? ergota-t-il encore.
— Non.
Pour lui complaire, je lui promis de faire tout ce qu'il me serait possible pour sa croix de Saint-Louis. Évidemment, je n'en avais aucune intention, mais cette promesse finit de le calmer. Guillaume capitula alors sans autres conditions.
On voit bien comment mon frère n'avait rien perdu de cette âme cupide et médiocre que je vous ai déjà longuement décrite. Heureusement, il n'insista pas : après avoir rempli les formalités d'usage auprès du payeur des rentes, il décampa. Pour la petite histoire, sachez qu'il n'avait vu Jeanne qu'une matinée. Cette dernière le trouva assez mal dégrossi, et me demanda si j'étais sûr que nous fûmes nés du même lit. Sans faire injure à la mémoire de mes honorables parents, on peut en effet se poser la question. Je vous l'ai déjà dit, les enfants sont une loterie. À ce sujet, il me reste à vous entretenir de mes deux sœurs. Guillaume parti, elles demandèrent humblement si elles aussi devaient rentrer à Lévignac. Je me montrai magnanime et trouvai un rôle à leur mesure. À Chon surtout, qui m'étonnait de jour en jour : elle mélangeait à sa nouvelle vivacité d'esprit un genre rustique qui lui inspirait des saillies souvent piquantes. J'avoue que sa compagnie n'était plus aussi désagréable qu'antan, et pouvait même avoir des avantages. Bischi, quant à elle, était toujours terne, mais les deux restaient inséparables. Plus étonnant encore, l'une comme l'autre semblaient avoir pris Jeanne en sympathie. Elles savaient le bénéfice qu'elles pouvaient en tirer, toutefois je crois qu'il y avait de la sincérité dans ce penchant. Quoi qu'il en soit, ces deux pies allaient servir mes plans.
La comtesse du Barry séjournait désormais à Versailles. Elle n'avait toutefois aucun droit d'y revendiquer une place officielle. La Cour lui restait inaccessible et l'étiquette imposait qu'elle ne se montrât jamais ouvertement en compagnie du roi. Ce dernier la recevait chaque soir mais il n'était pas dans sa nature de contraindre quiconque à lui faire bonne figure. Et, isolée dans son nouveau logement, elle ne pouvait compter sur le soutien de personne, tant la coterie de M. de Choiseul s'ingéniait à la traiter en pestiférée. D'ailleurs, on disait en se gaussant que la du Barry habitait dans l'appartement d'un domestique. Bref, pour rompre cette quarantaine, la cérémonie de la présentation restait la dernière pierre à apporter à mon édifice. Vous savez comment ce protocole exige de celui ou celle qui y est soumis de produire les preuves de sa noblesse. Pour une femme, celles de son père ou de son époux font foi. Ce sujet étant désormais réglé comme vous venez de le voir, il s'agissait maintenant de lui trouver une marraine pour être présentée publiquement au roi. L'étiquette est formelle à ce sujet. La cérémonie doit avoir lieu en présence de la Cour réunie, et représente en quelque sorte un second baptême devant la bonne société.
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