Pour les plaisirs du Roi
d'être le cocu de Louis le Grand, puisqu'il en fit tout un scandale. Cela n'empêcha pas son épouse d'être une des plus puissantes favorites du règne. Je n'en espérais pas moins pour Jeanne. Quant à Guillaume, je me faisais fort de le rendre docile. D'autant que lorsqu'on informa le roi qu'un honnête gentilhomme se proposait d'offrir son nom à Jeanne, il fit savoir qu'il lui octroierait vingt mille livres de rente annuelle en dédommagement de ses services. Jeanne me le répéta mais je n'en informai pas encore Guillaume car ce garçon aurait été capable d'en exiger le double. Quand on donne de la valeur à un médiocre, il en tire souvent prétexte pour se hausser du col. C'est ainsi. Je lui dis donc seulement qu'il connaîtrait après son mariage le prix de son obéissance. Idem pour ses prétentions à rencontrer Jeanne. Il la verrait le jour des noces, c'était bien suffisant.
Toute ma famille logeait dans mon hôtel de la rue de la Jussienne. Je ne vous conterai pas les réactions de mes sœurs et de mon frère quand ils découvrirent les lieux. Vous devez vous douter qu'elles furent surtout fielleuses. Comment pouvaient-ils vivre dans le dénuement pendant que leur frère s'offrait une vie de prince ? C'est en substance la question et surtout le reproche qu'ils me firent. Je tentai bien de leur expliquer le dur labeur qu'avait exigé tout cela, mais ils ne me crurent pas. De toute façon, cela m'était égal. J'avais l'esprit ailleurs et tout tourné vers le mariage à venir. Il fallait aller vite. Le parti de M. de Choiseul commençait à fourbir ses armes. Déjà, Mme de Grammont claironnait qu'on ne verrait jamais Jeanne à Versailles qu'au détour d'un couloir, à la lueur d'une chandelle. En aucun cas elle n'aurait le loisir de s'y montrer le jour, encore moins à la Cour, ajoutait-elle. Choiseul lui-même avait convoqué Sartine, me révéla mon espion auprès de ce dernier. Il ne savait rien de précis sur ce qu'ils s'étaient dit mais il affirmait que les deux ministres avaient évoqué Mlle de Vaubernier. Vrai ou faux, ce renseignement m'incita à accélérer encore un peu plus mes manœuvres.
J'avais le marié et la mariée, restait à organiser les termes de l'union. D'abord, je pris le soin de m'entourer des conseils d'un expert dans les affaires de ce genre. C'est Nallut qui me l'adressa. Il s'agissait d'un notaire, maître Garnier, habitué à arranger toutes sortes de contrats sortant de l'ordinaire. Dans son étude un peu miteuse, il faut bien le dire, nous dressâmes la liste des clauses, de façon à laisser la mariée libre de ses mouvements après les noces. Ainsi, le contrat lui reconnaissait la seule administration de ses biens acquis par elle dans le cadre du mariage. L'époux était par ailleurs totalement écarté de la gestion future du foyer puisque seule Jeanne s'avérait admise à conduire le ménage. De cette manière, je m'assurais la soumission de Guillaume. Maître Garnier fut arrangeant puisque nous datâmes le document du vingt-trois juillet précédent. Je ne voulais pas que l'on puisse déceler la précipitation dans tout cela. Pour la publication des bans, j'agis de la même manière grâce aux bons soins de ce brave notaire qui s'y entendait pour arranger un mariage de comédie.
Ceci fait, je me mis en chasse d'une paroisse point trop pointilleuse sur les détails de cette noce. Je connaissais un aimable prêtre, visiteur occasionnel de mon ancien logement de la rue des Petits-Carreaux, qui officiait à l'église Saint-Laurent. J'exposai la chose à ce bon curé, qui se trouva bien aise de me rendre ce petit service. Il demanda cependant que le mariage se fasse à cinq heures du matin afin de préserver la tranquillité de sa paroisse. Je trouvai l'idée excellente : l'intimité du jeune couple en serait préservée, ajoutai-je.
Enfin, vous le savez, les préparatifs d'une noce sont souvent coûteux. Et je sollicitai Jeanne de suggérer au roi d'y participer en la dotant de trente mille livres. Sa Majesté ne rechigna pas et apporta dans la corbeille la somme demandée ainsi qu'une parure de diamants d'une valeur d'au moins vingt milles livre. Mais il fit mieux encore, vous l'allez voir.
Comme tous les faibles, le roi Louis XV osait parfois prendre des décisions vigoureuses sous le coup d'une soudaine impulsion. Quatre jours avant la date fixée pour le mariage, il offrit tout bonnement à Jeanne la jouissance de l'appartement laissé vacant par Lebel.
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