Pour les plaisirs du Roi
lorsqu'on distribua sous le manteau un libelle intitulé L'Apothéose du roi Pétaud , où le roi était violemment brocardé. Dans l'entourage de la duchesse de Grammont, on se crut spirituel d'en lire des passages entiers pendant les soupers. Certains eurent même le culot d'y voir la main de Voltaire, qui s'empressa de menacer du tribunal ceux qui en feraient le père de ces ordures – on sait qu'il était très procédurier.
À Versailles, Jeanne savait peu de chose de ce qui se tramait à Paris. Le roi la gardait près de lui, sourd notamment aux récriminations de ses filles, qui lui reprochaient de flétrir la mémoire de leur mère. Le roi les aimait, mais heureusement pour nous, ses scrupules s'arrêtaient là où son désir débutait. Et plus que jamais, il se perdait avec ardeur dans les bras de Jeanne. Tellement, qu'elle me fit savoir qu'au cours d'une de leurs conversations intimes il s'était montré curieux de certaines friandises dont il avait entendu parler par le duc de Richelieu. Car si le roi se sentait une nouvelle jeunesse, ses cinquante-huit ans lui étaient parfois un fardeau contre les vingt-cinq de Jeanne 24 . Je ne perdis pas l'occasion de me rendre utile en faisant confectionner par mon artisan habituel une belle fournée de dragées d'Hercule, que j'arrangeai ensuite avec art dans une superbe boîte à bonbons en porcelaine de la forme d'un cœur. Je donnai le tout à Jeanne qui l'offrit le soir même au roi. Je crois qu'il en fut très content. Peu de temps après, Jeanne obtenait pour moi cent mille livres. Je lui en laissai dix mille et en proposai trente mille au duc de Richelieu, qui accepta chaleureusement.
Cela nous incita à redoubler d'efforts face à nos ennemis. Car il était bien évident que la campagne de libelles et de minables vaudevilles avait pour unique ambition de forcer le roi à renoncer à la présentation par peur du scandale. Sans parler de la difficulté à désormais trouver une marraine qui acceptât de braver les membres de sa caste. Celle qui accepterait de s'engager auprès de Jeanne risquait tout bonnement de perdre à jamais l'estime des siens. Et il me fallait trouver une joueuse dont la peur de perdre cédât le pas à l'espoir de gagner. La Cour était pleine de familles désargentées, en particulier de veuves qui avaient l'avantage d'être plus simples à convaincre. Du moins, je le croyais. Car bien qu'il nous arrivât le renfort de ma sœur Chon, déjà appréciée de plusieurs dames de la Cour – quand on est laide, les autres femmes ne risquent rien à vous donner leur amitié –, aucune des premières que l'on approcha ne répondit favorablement.
Il fallait de la méthode. Je fis discrètement établir la liste de toutes les veuves et vieilles filles, comtesses, duchesses, marquises, et baronnes en délicatesse avec leurs finances, ou celles qui guignaient une faveur depuis longtemps. Sur ces cinquante-trois noms, nous dûmes en retrancher trente et un qui étaient ouvertement liés à la coterie de Mme de Grammont ou aux filles du roi. Nous nous partageâmes le restant avec Chon et le duc de Richelieu, qui se réserva des parentes et les duchesses de la liste – une ou deux avaient été ses maîtresses. Je me mis donc en devoir de faire ma cour à près d'une dizaine de ces dames, dont la plupart avaient passé les cinquante ans. À part trois qui ne voulurent pas me recevoir, les autres admirent de me rencontrer. J'expliquai assez franchement à chacune d'entre elles l'objet de ma visite, insistant bien sur la gratitude du roi pour celle qui accepterait d'être la marraine de Jeanne. Mais voyez comme les gens sont : aucune ne voulut prêter son concours. Pas même une comtesse de soixante-dix ans, recluse dans une toute petite chambre du Grand Commun, et souvent réduite à envoyer sa vieille servante mendier sa pitance aux cuisines des domestiques. À Versailles, on préférait mourir de faim que de s'aliéner la bonne société. J'eus beau promettre, cajoler, et pour deux baronnes payer de ma personne, j'échouai dans toutes mes visites. De son côté, Chon intrigua auprès de quelques maussades célibataires. Elle tenta de s'en faire des amies, dut parfois les accompagner à trois messes par jour, supporta leurs incessantes jérémiades – et pour certaines leur odeur –, sans qu'au bout du compte pas une de ces revêches ne daignât donner son accord. Si bien qu'à la moitié de novembre, nous n'avions toujours personne en vue
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