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Pour les plaisirs du Roi

Pour les plaisirs du Roi

Titel: Pour les plaisirs du Roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Philippe Hugon
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fauteuil.
    — Sinon, messieurs, nos accords ne vaudront plus rien. On chante déjà le nom de votre protégée sur tous les tons dans Paris. Il ne faudrait pas qu'un vent mauvais se lève aussi chez quelques éminents membres du parlement. Si les affaires de cœur de mon cousin deviennent des affaires d'État, c'en est fait de vos beaux projets.
    Le duc se leva lui aussi. Je l'imitai, et curieusement, seul M. de Kallenberg resta assis.
    — Monsieur, je le répète : il n'est pas prudent d'exposer si tôt les relations de Mme du Barry à la suspicion de nos ennemis, plaida le duc.
    — La coterie de M. de Choiseul l'utilisera à nos dépens, à n'en pas douter, insistai-je.
    Le prince ne répondit rien. Il regarda M. de Kallenberg qui se leva enfin, puis il se dirigea vers la porte du salon avant de se retourner :
    — J'attends Mme du Barry cette semaine. J'enverrai M. de Kallenberg la prendre à Versailles, dit le prince d'un ton très calme.
    Et il sortit, suivi de Kallenberg qui évita soigneusement de passer près de moi.
    Nous ne fîmes pas un geste pour retenir le prince. Cela n'aurait servi à rien. Il était de ces êtres qui ne savent pas se déjuger. Peut-être admettait-il en lui-même que nous n'avions pas tort, mais son arrogance dictait éternellement sa conduite à sa raison. J'allai à la fenêtre du salon pour le voir s'engouffrer dans son carrosse avec Kallenberg.
    — Quelle morgue ! ne put s'empêcher de s'exclamer le duc.
    — Oui, mais nous voilà avec un nouveau souci, regrettai-je.
    — Détrompez-vous, cher comte. Le temps joue pour nous. Il y a six mois, notre position était bien faible en comparaison d'aujourd'hui. Le prince nous menace ? Fort bien. Mais il néglige les sentiments de Louis : il faudrait un sérieux coup de vent pour que le roi se résolve à laisser Jeanne s'envoler.
    — C'est vrai. Cependant, le prince sait beaucoup de choses qui pourraient nous nuire.
    — Je ne le pense pas. Je vous le dis, cher comte, nous n'avons plus besoin du prince. Mieux, s'il continue à menacer, nous en tirerons avantage auprès de Sa Majesté en faisant valoir notre résistance.
    — Et le parlement ?
    — Nous verrons bien. Et puis, les magistrats sont déjà en guerre avec le roi. Leur hargne contre Mme du Barry en perdra de la légitimité.
    — Je vais tout de même envoyer une lettre à Jeanne : je lui expliquerai la situation.
    — Ne l'inquiétons pas trop. Dites-lui seulement d'éconduire poliment un éventuel envoyé du prince de Conti. De mon côté, je vais me rendre à Versailles pour parler au roi. Le moment est venu de lui toucher un mot de son turbulent cousin. Je n'aurai pas affaire à un ingrat : les ennemis de ses ennemis sont toujours ses amis.
    Nous nous quittâmes sur ces sages paroles. Je rentrai chez moi rassuré, même si, au milieu de la foule des passants, j'eus l'impression de reconnaître les visages des deux chevaliers qui, la veille, m'avaient porté la demande du prince.
     
    Pendant ce temps, à Versailles, Jeanne continuait de se faire une place à l'ombre du trône. Le roi la rejoignait même parfois chez elle, au retour de la chapelle royale. Chon et Bischi le virent ainsi plusieurs fois et y gagnèrent un vif intérêt auprès des courtisans. Être les belles-sœurs de la catin du roi pouvait aussi avoir ses avantages. Le monarque les aimait bien, surtout Chon, qui le faisait souvent rire par son bon sens campagnard. Quelques fois, il l'invita à accompagner Jeanne dans ses appartements privés. Les trois jouaient aux cartes jusqu'à minuit, puis Chon regagnait seule le logis, laissant Jeanne derrière elle, à qui le roi offrait l'asile pour la nuit. On comprendra combien cette proximité de ma famille avec Sa Majesté nourrissait les jalousies de quelques-uns. Mais également les premiers ralliements.
    Un matin où j'arrivais à Versailles l'esprit un peu embrumé par les restes d'une nuit à ma manière, un vieux marquis tout poudré m'aborda dans la Grande Galerie avec force amabilité. Je ne l'avais croisé qu'une paire de fois auparavant ; cependant, il m'entreprit comme si j'eusse été une connaissance de vingt années. Il demanda de mes nouvelles, de celles de ma famille, avant de conclure en me glissant dans la main une petite enveloppe bleue. Il me dit sans façon qu'elle était à l'attention du roi. Devant ma surprise, il crut utile d'ajouter qu'elle ne comportait qu'un bref compliment de sa composition dont il voulait faire don au souverain.

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