Pour les plaisirs du Roi
coterie de M. de Choiseul, on s'affola. Si la chose était vraie, il se pourrait qu'elle préfigure une vengeance sans pitié, craignaient même certains. Mon stratagème fonctionna si bien qu'il nous valut des nouvelles de quelqu'un qui s'intéressait de près à nos affaires.
Le prince de Conti s'était tenu tranquille depuis notre dernière entrevue. Près de six mois avaient passé, mais il estima que le délai devenait suffisant. Il envoya chez moi une paire de taciturnes chevaliers de Malte munis d'un pli dans lequel il demandait des nouvelles de Mme du Barry. Il expliquait surtout qu'il serait enchanté de la rencontrer dans son palais. L'invitation sonnait comme une injonction, que la présence des deux chevaliers rendait plus impérative encore. Je leur remis une réponse évasive griffonnée à la hâte. Le prince ne s'en satisferait pas mais je gagnais ainsi un peu de temps pour aviser le duc de Richelieu. Il fut d'accord avec moi qu'il était inopportun de déjà mettre Jeanne en présence du prince. Nous lui écrivîmes une lettre dans ce sens, arguant qu'il ne fallait pas risquer de déconsidérer la position de Jeanne auprès du roi. La présentation effectuée, il pourrait la voir à son aise, ajoutai-je.
La réponse ne se fit pas attendre. Le lendemain, M. de Conti s'annonça chez le duc, qui m'envoya chercher dans l'instant. J'arrivai en même temps que le carrosse du prince. Il en descendit, suivi de l'inévitable Kallenberg. Nous montâmes de concert les marches du grand escalier du duc sans un mot. Ce ne fut qu'une fois dans le grand salon qu'il m'adressa un bref salut. L'atmosphère était comme à l'aube d'une bataille. Les adversaires se toisaient, chacun attendant l'ouverture du feu. Nous étions chez le duc : les lois de la guerre comme de la politesse laissaient aux visiteurs le loisir d'engager le combat. M. de Richelieu, qui en avait vu d'autres, proposa à tout le monde de s'asseoir pendant qu'il commandait aux domestiques de sortir. La porte à peine refermée derrière eux, le prince lâcha une première bordée :
— Monsieur le duc, il m'est pénible d'avoir à venir rappeler sa parole à un maréchal de France.
— Vous n'avez pas reçu notre lettre ? répondit le duc en faisant mine de ne pas comprendre.
Le prince se contint avec difficulté et serra fortement le pommeau de la canne qu'il tenait entre ses jambes.
— Il suffit ! cracha-t-il.
Le duc avait jusqu'alors gardé beaucoup de prévenance malgré l'évidente mauvaise humeur de son visiteur. Mais il n'entendait pas qu'on lui manquât de respect sous son toit :
— Monsieur, si vous gardez ce ton avec moi, notre entretien va s'achever en d'autres lieux.
La scène était singulière. Les deux hommes affichaient un âge vénérable – M. de Richelieu surtout – derrière lequel il est permis de se retrancher sans déshonneur afin de solder une querelle par la négociation. Au lieu de cela, on eût dit de jeunes pages, prêts à en découdre. Les deux se toisaient d'un œil mauvais. Je me sentis obligé d'intervenir :
— Messieurs, messieurs. N'ajoutons pas un malentendu à un autre. Monseigneur, dis-je en m'adressant au prince, expliquez-nous l'objet de votre colère.
— Je redis, monsieur, que vous n'avez pas respecté les termes de notre accord.
— Comment cela ? fis-je avec beaucoup de naturel.
— Puisqu'il semble que vous ne compreniez pas, je vais vous expliquer, dit le prince, toujours très remonté. Nous étions convenus qu'en échange de ma bienveillance pour vos intrigues Mlle de Vaubernier, aujourd'hui Mme du Barry, prêterait son concours à ma cause.
— Il est aujourd'hui trop tôt pour cela, intervint le duc.
— Je lis dans les gazettes qu'elle va être présentée, dit le prince.
— Les gazetiers ont un peu trop vite écrit ce qui n'est pas encore fait, répliquai-je.
— Qu'en savez-vous ? releva M. de Kallenberg d'un air suspicieux.
— J'en sais ce qu'un gentilhomme sait des affaires d'une femme qui porte son nom, répondis-je sans le regarder. La présentation n'est pas encore fixée.
— Peu importe. Si ce n'est ce mois-ci, cela ne tardera plus. Je veux la rencontrer dès maintenant, me rétorqua le prince.
— Il vous faudra pourtant encore de la patience, riposta M. de Richelieu.
— Voilà six mois maintenant que je patiente. Ç'en est trop. J'invite Mme du Barry cette semaine chez moi. Elle y viendra, sinon…
— Sinon ? dit le duc.
M. de Conti se leva de son
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