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Pour les plaisirs du Roi

Pour les plaisirs du Roi

Titel: Pour les plaisirs du Roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Philippe Hugon
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sol, Kallenberg se releva promptement tout en se saisissant de son épée. Simon avait une espèce de couteau italien qui ne le quittait jamais. Sa lame se dépliait et en faisait une arme d'au moins six pouces. Il le sortit de sa poche, se campa contre la chaise de Jeanne, et attendit l'assaut. Dans l'obscurité, Kallenberg ne vit pas ce que Simon tenait dans sa main : sans prendre soin de se parer, il s'avança pour l'embrocher. Dans un combat, mon valet avait des mœurs de sauvage. Il évita lestement l'attaque et riposta d'une féroce pointe qui atteignit son adversaire en plein visage. Un cri affreux déchira la nuit : Kallenberg s'effondra. L'un des deux cavaliers et le cocher se précipitèrent pour le traîner dans la voiture, pendant qu'une cavalcade se faisait entendre venant de l'arrière. C'était une demi-douzaine de suisses à moitié ivres qui arrivaient à la rescousse. Ils sortaient d'une taverne quand les porteurs de chaises affolés les avaient avertis de ce qui se passait non loin de là. Le troisième cavalier eut juste le temps d'emboîter le pas de ses complices et tous disparurent vers la route de Paris, abandonnant sur place le cheval de Kallenberg.
    Jeanne était terrorisée. Il fallut un long moment à Chon pour la réconforter. Ma sœur décida qu'elles devaient retourner à Versailles sans tarder. Tant pis pour Mme de Béarn. Elle prit toutefois soin d'envoyer Simon lui expliquer qu'un contretemps les avait retenues : elles viendraient la voir le lendemain, sans faute. Le visage de Jeanne n'était point encore connu à cette époque, et les suisses comme les porteurs ne se doutèrent pas de son identité. Cela valait mieux. Je fus informé de ce qui venait de se passer par Bischi, qui accourut me chercher à Paris dans la soirée. Je fis aussitôt seller un cheval.
    Cette nuit-là, pour la première fois depuis le début de sa liaison, Jeanne ne se rendit pas dans les appartements du roi. Sur les conseils de Chon, elle tint secret ce qui venait de se passer et invoqua une violente migraine. Le roi s'en inquiéta : il brava l'étiquette pour venir quelques minutes la visiter chez elle avant de se rendre à un souper. Quand j'arrivai, deux suisses et un officier des gardes attendaient dans l'entrée de l'appartement. Le roi était là. Je le saluai bien respectueusement. Jeanne me présenta. Je n'avais jamais été dans une telle proximité avec lui. Il se montra très cordial et me demanda de bien veiller sur Jeanne. Il ajouta qu'il était très content de ma famille, dont en particulier mes sœurs. Chon et Bischi se rengorgèrent. Enfin, il m'engagea à venir plus souvent à Versailles. J'étais comblé. Il badina encore quelques instants avec Chon, puis se décida à partir. Mais avant, il me pria de le suivre dans un coin du salon, à l'écart de la compagnie. Il me scruta quelques instants de ses yeux d'un bleu profond.
    — Mme la comtesse me semble fort soucieuse. En savez-vous la cause ? me demanda le roi.
    — Ce n'est rien, Sire. Sûrement un malaise passager, répondis-je très platement.
    Mais l'occasion était trop belle. Je me repris :
    — En fait, Sire, il y a peut-être quelque chose qui cause du souci à la comtesse.
    — Ah, vous voyez ! Je pourrais en savoir plus ? dit-il en baissant un peu la voix.
    — Eh bien voilà. Jeanne s'inquiète beaucoup de savoir si on l'acceptera un jour à la Cour.
    Les yeux du roi s'assombrirent légèrement.
    — Je pensais qu'elle avait trouvé une marraine.
    — Oui, Sire, toutefois, certains détails ne sont point encore réglés, continuai-je.
    L'art des puissants réside dans l'étonnement qu'ils mettent à découvrir des choses qu'ils connaissent parfaitement. Le roi savait les demandes de Mme de Béarn, et en particulier la requête sur son procès. Il resta quelques secondes pensif, contemplant par la fenêtre la Place d'armes qui commençait à se couvrir de neige.
    — Monsieur le comte, je ne veux pas voir la comtesse maussade, soupira le roi. Et puis il faut bien en finir avec cette présentation. Vous irez de ma part voir M. de Maupeou, le chancelier et garde des Sceaux, et vous lui parlerez du souci de Mme de Béarn. Je suis convaincu qu'il saura lui trouver une solution, acheva-t-il avant de retourner vers Jeanne, tout sourire.
     
    Ce soir-là, Simon revint de chez Mme de Béarn avec une nouvelle étonnante. La comtesse prétendait n'avoir écrit de lettre à personne ce jour-là. Chon me montra le mot qui était parvenu à

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