Pour les plaisirs du Roi
corporation de charlatans dont les prescriptions sont autant de lettres de change pour l'au-delà. Une lugubre phalange dans laquelle mon praticien du jour devait tenir une place éminente, à en juger par le nombre de bouillons et de mixtures qu'il demanda à ma cousine de commander à l'apothicaire de l'évêque. Pour l'heure, il appliqua sur ma plaie des compresses caustiques, composées d'un mélange de levain aigre, de savon et de lard salé. Content de lui, le butor réclama un louis pour sa peine. L'homme ne m'inspirait aucune confiance, mais n'étant pas en mesure de contester le traitement, j'abandonnai à Adélaïde le soin de tout organiser. Comme à son habitude, elle déploya à mon égard des sollicitudes dignes d'une épouse. Deux jours plus tard, j'allais déjà un peu mieux. Suffisamment pour m'interroger sur la suite que je devais donner à ma vie.
Depuis le premier instant de mon arrivée à Toulouse, un sentiment, d'abord confus mais maintenant tout à fait clair, s'était fait jour en moi : je n'avais aucune envie de rentrer à Lévignac. À cet instant, que l'on me fasse au moins ce crédit, nul plan particulier n'insinuait ses arcanes dans mon esprit, je le jure. L'empire de la raison capitula tout simplement devant l'instinct. Je sais, honnête lecteur, que vous trouverez peut-être ma conduite bien légère et peu digne d'un mari ou d'un frère. Certes. Mais les imprévus, même fâcheux, de cette semaine passée à Toulouse m'avaient révélé un goût insoupçonné pour l'aventure, conjugué à une totale absence de scrupules, ce que, pour cette dernière qualité, vous pressentiez déjà. Ce fut donc sans le moindre état d'âme que j'employai les premières heures de ma convalescence à imaginer la suite de ma vie ailleurs que parmi les miens. Très vite, je convins avec moi-même que Paris et Versailles seraient des scènes plus dignes de mes talents que mon modeste manoir de Lévignac. Je m'en ouvrai à ma cousine qui, sans que cela ne me surprît, m'encouragea dans mon projet, sa fidélité à l'endroit de l'institution familiale étant à l'aune de celle qu'elle avait pour les bonnes mœurs. Elle eut même le goût charmant d'avertir la baronne d'A* de ma prochaine fugue, afin qu'elle me fît bénéficier de ses entrées à la Cour. Reconnaissante de mes services rendus, la baronne m'envoya sans tarder un billet où figurait l'adresse d'une amie dévouée, Mme du Deffand, qui pourrait m'aider lors de mon arrivée à Paris. Il ne restait plus qu'à habiller ma désertion d'une fable bien tournée.
Entre deux sommeils réparateurs, je dictai à Adélaïde un message destiné à ma famille. J'y racontais qu'un mauvais coup du sort me contraignait à me soustraire à leur affection pour quelques jours encore, car une méchante fièvre m'avait inopinément cloué au lit. En cela, vous en conviendrez, je ne faisais qu'un demi-mensonge, travestissant seulement le mode d'inoculation de mon mal. J'insistais sur le caractère très possiblement contagieux de mon affection à laquelle les médecins ne pouvaient donner une issue certaine. Et quand on saura qu'à cette époque les miasmes du choléra n'avaient pas abdiqué leur empire sur notre contrée, mon histoire était de celle qui n'engage pas à en vérifier l'exactitude. Connaissant l'hypocondrie de mon épouse et supputant les conjectures inespérées que la gravité de mon état inspirerait à mon frère, je pouvais être tranquille une bonne semaine de plus. Personne ne viendrait me veiller. Enfin, pour mieux calmer leurs inquiétudes à mon égard, j'ajoutai une lettre de change d'une valeur de vingt-cinq mille livres, dont je leur dis qu'elle représentait les avoirs conservés par mon cousin sur une banque de la place. Évidemment, je ne faisais aucune allusion au reste de mes arrangements avec le notaire.
Content de moi, je suivis à la lettre les prescriptions d'un nouveau médecin venu à mon chevet sur les instances de ma cousine et qui m'apparut mieux instruit que le précédent dans l'art de guérir ses patients. Un emplâtre fait de jaune d'œuf, d'huile rosat et de térébenthine hâta ainsi merveilleusement ma guérison puisqu'à peine cinq jours après l'affaire avec le baron d'A* je témoignai à Adélaïde d'ardentes preuves de mon rétablissement. Ce même baron ne m'avait d'ailleurs pas oublié. Il me signifia ses vifs souhaits de guérison dans un billet qu'il accompagna d'une excellente bouteille de vin de
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