Pour les plaisirs du Roi
la lui serrai vivement en l'assurant qu'il aurait en moi un parfait complice et que notre rencontre se ferait comme il le souhaitait. Le baron décida donc de régler l'affaire au sabre, dans un champ jouxtant le cimetière du Bazacle. Il était convenu qu'il me donnerait une légère pointe en haut de l'épaule droite, m'empêchant ainsi de poursuivre, tout en lavant l'affront dans un peu de sang. Nous nous quittâmes les meilleurs amis du monde en nous fixant rendez-vous pour le lendemain matin. Le colonel se chargeait de me trouver un témoin pour les formalités d'usage.
Rentré chez ma cousine, je lui contai toute l'affaire. Elle s'en inquiéta, malgré le stratagème imaginé par le baron d'A*. Pour ma part, je m'estimais chanceux de m'en tirer à si bon compte. Cependant, l'affaire allait retarder mon retour dans ma famille, prévu pour le lendemain. Toutefois, ce contretemps me remplit d'aise : il me fournissait l'occasion de m'attarder au moins une nouvelle nuit à Toulouse avant de m'en retourner à un quotidien qui m'apparaissait désormais plus pénible que jamais.
Le lendemain, je me levai aux aurores et, sur les indications de ma chère Adélaïde, me rendis à pied au lieu du rendez-vous en longeant la Garonne, l'esprit tranquille, seulement soucieux d'être à la hauteur du rôle qui m'était dévolu. Quand j'arrivai au cimetière du Bazacle, je descendis par un chemin étroit vers un large carré d'herbe situé en contrebas, et abrité de la vue par les pans d'un mur à moitié effondré. Le baron d'A* s'y trouvait déjà, en compagnie de deux jeunes officiers. Impénétrable, il me présenta le lieutenant qui m'assisterait pendant le duel. Comme convenu, je ne laissai paraître aucun signe de connivence et pris le sabre que me tendait le témoin du colonel. Le ciel était couvert et un orage commençait à faire entendre son tonnerre dans le lointain. Le colonel me demanda si j'étais prêt. Après avoir retiré ma veste et ma perruque puis noué fermement mes cheveux avec un mouchoir brodé aux initiales de ma cousine, je répondis par l'affirmative.
L'affaire s'amorça par une violente attaque du baron qui manqua me toucher au visage. Je parai précipitamment. Pour une rencontre arrangée, je lui trouvais des débuts un peu trop sincères ; j'interrogeai le baron du regard. Mais avant de m'être remis en garde, un nouvel assaut du hussard finit de me convaincre que les termes de notre accord avaient vraisemblablement évolué durant la nuit. À la troisième attaque franche du baron, je me décidai à mettre à profit les cours que me prodigua parfois un vieux maître d'armes. Et d'un moulinet fougueux je tirai de la lame de mon adversaire quelques étincelles qui le ramenèrent à plus de circonspection. Durant quelques secondes, nous échangeâmes alors des assauts plus retenus. L'affrontement prit même un terme des plus obligeants lorsque le baron fut saisi d'un nouvel accès de fureur. En trois coups, il me fit reculer jusqu'à la porte du mur d'enceinte du cimetière. Acculé à me défendre, je parai un coup au visage en me baissant légèrement, quand, rompu à ce genre de feinte, le baron fit basculer son sabre et me le planta profondément en haut de l'épaule droite. Je poussai un grand cri et lâchai mon arme, me sentant comme soulevé de terre. Le colonel venait de littéralement me clouer sur l'antique porte du cimetière… D'un geste sec, il retira son sabre. Je m'effondrai. Mon témoin se précipita et appliqua dans l'instant une boule d'étoffe sur ma blessure. Je perdais beaucoup de sang. On décida alors de me porter dans une voiture pour me conduire chez un médecin. J'eus juste le temps d'entrevoir le visage du baron d'A*, qui me souffla en se penchant vers moi :
— Merci d'avoir si bien joué, cher ami…
La seconde d'après, je perdis connaissance.
Rentré chez ma cousine, on m'installa dans un lit d'une chambre jouxtant celle d'Adélaïde. Ma blessure était grave. Mais à en croire un des officiers qui me raccompagna, si l'épée de son supérieur m'avait effectivement transpercée, la plaie n'était pas de celles dont on mourait ; ou alors pas tout de suite. C'est ce que confirma le médecin que l'on dépêcha à mon chevet. Il sembla cependant contrarié de ne pouvoir pratiquer de saignée, le baron d'A* s'étant déjà fort bien appliqué à cette besogne, lui fit-on remarquer. Je dois avouer à mon lecteur que je n'ai jamais estimé les membres de cette
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