Pour les plaisirs du Roi
affaire urgente. Ne le connaissant évidemment pas comme son épouse, je m'étonnai de cette requête mais ne m'inquiétai pas pour autant. Je convins de rencontrer le baron chez lui après le déjeuner. Sur les coups de deux heures, je fus donc introduit dans le cabinet de travail du baron d'A*.
L'homme était l'archétype du militaire. Belle taille, beaucoup de prestance sous l'uniforme, et un visage carré dont la peau était grêlée des impacts de la mitraille d'une ancienne vérole. Ce qui, je m'en souviens, ne cessa pas de m'inquiéter pour ma santé. Le baron me reçut fort civilement et me demanda tout d'abord des nouvelles de ma famille. Il avait servi quelques années avec un lointain parent à moi, officier dans les gardes du roi. Puis la conversation roula sur la terrible fin de mon pauvre cousin. Après cette entrée en matière, le colonel se fit plus précis.
— Je n'ignore pas, mon cher comte, que ma tendre épouse cultive à votre égard une certaine amitié depuis le bal de la présidente, dit-il en jouant distraitement avec une petite tabatière en nacre.
— Mme la baronne a effectivement bien voulu m'honorer de sa conversation, ce qui me fut un réel réconfort dans une assemblée où je ne connaissais personne, répondis-je l'air le plus naturel du monde.
— Cette belle âme a toujours su s'émouvoir des solitaires, il est vrai. Je crois d'ailleurs savoir, mon cher ami, que vous avez rendu son obligeance de façon non équivoque.
Et avant que je ne puisse réagir, le baron continua :
— Monsieur le comte, vous êtes récent dans cette cité et, si vous n'avez pas encore d'ennemis, vous n'y avez pas que des alliés. Pour l'avenir, je vous engage à entretenir plus de discrétion autour de vos amitiés. Surtout lorsqu'elles concernent une femme mariée. Bref, je serai clair. Une jeune personne qui me voue une grande affection et qui en fut le témoin direct m'a signifié le degré d'attachement que vous avez témoigné à mon épouse.
Il m'apparut dans l'instant que la jeune femme de chambre de la baronne ajoutait à ses indéniables qualités celle d'une espionne dévouée aux intérêts du colonel.
— La chose ne me dérange guère, je vous l'assure, poursuivit le baron d'A*. Je ne régente pas mon foyer comme mon régiment. Mon ami, dans cette sorte d'affaire, c'est comme pour un pucelage : la première fois, c'est souvent douloureux, mais la suite peut avoir ses avantages. Cependant, la décence et l'honneur veulent que nos affaires ne soient pas connues du trop grand nombre. Et c'est là que le bât blesse. Depuis quelque temps, les amitiés de la baronne donnent trop à jaser en ville. La chose est embarrassante, surtout compte tenu de ma position, vous le comprenez.
J'écoutais le colonel avec circonspection, acquiesçant du chef à plusieurs reprises comme s'il s'était agi d'une conversation banale. Il reprit :
— Je dois mettre un frein aux persiflages, en même temps que je refroidirai un temps les appétences amicales pour mon épouse.
L'affaire devenait sérieuse. À l'évidence, le baron n'entendait pas laisser passer mon aventure avec sa femme sans faire un exemple. À cet endroit, je dois dire que si ma vie pourra être jugée comme peu édifiante au chapitre de la morale et parfois de l'honnêteté, j'ai toujours tenté de préserver les couleurs de l'honneur. Quoi qu'il m'en ait coûté. Et ce jour-là, je proposai sans détour au baron de régler l'affaire sur le pré. Mes aventures auraient pu y trouver un terme car si, à cette époque, j'étais encore de force très moyenne au maniement de l'épée ou du sabre, l'habileté du baron dans cet exercice ne faisait aucun doute. Mon offre eut l'air de lui plaire, mais ce qu'il me soumit ouvrit des horizons inespérés pour un homme dans ma situation.
— Je sens bien que vous êtes un homme d'honneur, cher comte. Et je vous remercie de m'aider à ramener à plus de tempérance les prétendants de cette ville. Toutefois, il serait malheureux que, à cette occasion, deux gentilshommes en viennent à se faire du mal. Par ailleurs, je ne voudrais pas courir le risque de priver mon épouse d'un époux… ou d'un ami.
— Ce serait fâcheux, en effet, acquiesçai-je, alors qu'un profond soulagement s'emparait de moi.
— Ainsi, je désire que notre affaire respecte toutes les colorations de l'honneur, sans pour autant que vous ou moi y laissions la vie, lâcha dans un franc sourire le baron en me tendant la main.
Je
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