Pour les plaisirs du Roi
Bourgogne que je bus en compagnie de ma cousine la veille du jour fixé pour mon départ vers Paris. Il fallait désormais franchir le pas. Cela ne me coûta guère, ma religion était faite, et personne n'aurait pu me convaincre de rester. Nul ne le tenta d'ailleurs.
Afin de mieux couvrir ma manœuvre, je décidai de rédiger un second courrier à ma famille où je peignais mon état pour nettement plus dramatique qu'il ne l'était, vous vous en doutez. D'une écriture volontairement tremblante, la lettre expliquait qu'il m'était de plus en plus difficile de respirer, que la fièvre me laissait peu de répit et que les médecins m'expédiaient à leurs collègues de la célèbre faculté de Montpellier, se trouvant à cours de diagnostics et de potions pour résoudre mon cas. Afin de rendre ma comédie plus authentique, je précisai ne pas être atteint du choléra dont je n'avais pas les symptômes mais d'une fièvre maligne encore inconnue dans les parages. Pour faire bonne mesure, je m'inventai quelques tumeurs ça et là sur le corps, certain que mon frère serait particulièrement sensible à ces détails. Il manquerait encore moins de relever que je les avisais avoir gelé les démarches de la succession, afin que s'il m'arrivait quelque chose de fâcheux, la procédure puisse reprendre en leurs noms. Je conclus sur les difficultés de ce voyage compte tenu de mon état et leur demandai de bien vouloir prier pour mon salut ; j'accompagnai le tout d'une nouvelle lettre de change de dix mille livres.
Le lendemain, j'embarquai très tôt dans une chaise de poste, accompagné de l'affectueux soutien de ma cousine, qui me fit promettre de lui donner promptement de mes nouvelles. Pour tout viatique, j'emportais deux petits bagages et des lettres de change d'une valeur de près de cent vingt mille livres. Il y a eu et il y aura plus malheureux sur cette terre : j'étais un homme neuf et, dans l'instant, positivement riche.
4 Après examen des minutes de la succession du comte de Cérès que j'ai consultées en 1802, il semble patent que Jean du Barry a escamoté de l'héritage une cassette de 1 000 louis dont il n'est fait mention nulle part dans le décompte qu'il adresse à sa famille.
Chapitre V
L a voiture de poste quitta Toulouse à l'aube. Nous filâmes bon train en direction du prochain relais. Durant les premières lieues, l'obscurité m'empêcha de bien distinguer la physionomie de mes compagnons de voyage. Une heure plus tard, la clarté était désormais suffisante pour que je pusse satisfaire à ma curiosité. Nous étions cinq. Face à moi, sur la banquette, un jeune homme semblait veiller jalousement sur sa voisine ; les regards qu'il lançait régulièrement alentour cachaient mal un air sévère lorsqu'il surprenait que l'on observait sa protégée. Je fis ostensiblement mine de me désintéresser de sa compagne, bien que la jeune personne détînt quelques arguments dignes de retenir l'attention. Dotée d'une beauté certes passable, il se dégageait de sa personne une expression indéfinissable, mais qui justifiait qu'on la tienne à l'œil, que l'on fût son mari ou son amant. Placé juste à ma droite, un prêtre à la figure constellée de tâches de rousseur et à la panse rebondie feuilletait distraitement son missel. À l'autre bout de la banquette, un homme d'âge mûr somnolait. D'une mise quelconque, il me parut qu'il devait s'agir d'un voyageur de commerce ou d'un fonctionnaire subalterne.
Après m'être présenté, j'engageai la conversation avec le prêtre. Nous échangeâmes des propos ordinaires, de ceux qui peuplent la monotonie d'un voyage mais qui me permirent de briser la glace avec le jeune couple. L'homme expliqua qu'ils rentraient à Orléans après avoir séjourné à Toulouse chez la tante de sa jeune épouse, en manière de voyage de noces. De concert avec le prêtre, nous leur présentâmes alors les félicitations et vœux d'usage. Puis le silence s'installa à nouveau. Je restais toujours poliment indifférent à la dame. Et ce qui de toute époque et de tout continent fait force de loi chez les personnes de l'autre sexe ne manqua pas de se produire : elle n'eut bientôt plus de cesse que d'essayer de capter le regard de celui qui osait l'ignorer.
La route était particulièrement peu carrossable à partir de Montauban. Durant quelques lieues, nous fûmes copieusement ballottés et ma blessure en profita pour me rappeler qu'elle était encore
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