Pour les plaisirs du Roi
consolider le traitement car cela ne pouvait être qu'une brève rémission. Je commandai une nouvelle flasque et proposai d'engager une partie de cartes où je dotai chacun des participants de trois louis, arguant que le jeune couple ne devait pas dépenser les deniers du ménage ni l'ecclésiastique celui du culte. On me loua pour ma générosité.
Trois flasques plus tard, il était minuit lorsque, aidé par le curé titubant, le fils de l'aubergiste monta le jeune homme inanimé dans sa chambre. J'avais évidemment pris soin de peu boire, comme la jeune mariée qui s'impatientait de me remercier des soins apportés à son mari. Je l'entraînai dans ma chambre où je pus constater que l'intime partie de son être était saisie d'une des plus abondantes crues qu'il m'ait été donné d'observer. Cela ne fut pas sans éperonner mes sens et, malgré ma blessure, je lui rendis quelques services des plus zélés. Je ne sais pas s'ils furent exactement conformes à ceux dont l'avait avertie sa digne mère, mais pour ce qui était de mettre les canons de la bienséance cul par-dessus tête, je pris bien soin de ne pas la contredire. On m'en remercia. Plusieurs fois. Nous n'interrompîmes nos travaux qu'à deux ou trois reprises afin qu'elle puisse se glisser dans sa chambre pour vérifier si son jeune époux dormait toujours du sommeil du juste. Ce fut le cas toute la nuit. Ma partenaire ne retrouva le lit conjugal qu'au petit jour.
À l'heure de rembarquer, les jeunes mariés se firent attendre un long moment, ce qui ne fut pas sans légèrement m'inquiéter. Lorsqu'ils parurent, la mine du jeune homme était passablement décomposée. Il nous demanda de l'excuser, mais une migraine encore plus violente que celle de la veille l'assaillait depuis qu'il avait ouvert les yeux. Avec le curé, nous en conclûmes doctement que les fluides s'étaient à nouveau inversés durant la nuit.
Je ne vous narrerai pas la suite d'un voyage dont je viens de conter le principal attrait. Qu'il soit juste dit que, durant cinq journées supplémentaires, la compagnie fut assez agréable, bien qu'il ne se trouvât pas d'autres occasions de l'égayer. La jeune mariée m'en parut ennuyée mais, à part quelques effleurements, je ne la connus plus jamais aussi intimement qu'au deuxième jour de notre périple. Et aujourd'hui, si je me souviens de son visage et de ses formes délicates, je serais bien incapable de me rappeler son nom. C'est d'ailleurs sûrement mieux ainsi. Nous nous séparâmes bons amis à l'arrivée à Orléans et je leur souhaitai tout le bonheur possible.
*
Nous étions désormais à une journée de Paris, mais la nuit nous contraignit à une nouvelle étape. L'auberge était miteuse, le souper très médiocre et la soirée s'annonçait interminable. Après avoir accompli de savantes manœuvres pour fuir la compagnie du curé que je laissai à l'autre bout de la salle en grand colloque avec deux jeunes drôles, je vins m'installer près du silencieux voyageur de commerce. Jusqu'alors, nous n'avions échangé que quelques politesses et malgré les cahots du mauvais chemin et le caquet de notre ecclésiastique, il s'était surtout distingué par ses dispositions au sommeil. Ces moments de veille, il les occupait en lisant et relisant un grand cahier de cuir dont les pages étaient presque toutes noircies de chiffres et de calculs. Une ou deux fois seulement, il participa à nos conversations, et encore, ce ne fut que pour se ranger à l'avis des autres. Sans relief particulier, il était d'une trivialité parfaite, de celle qui rebute l'honnête homme d'en savoir plus sur une vie forcément obscure et laborieuse. Un détail toutefois m'intrigua. Le bonhomme était certes vêtu de manière fort ordinaire mais, pour un œil exercé, la bonne facture et la qualité de l'étoffe de ses habits dénonçaient des accointances moins banales. Ses souliers, en particulier, étaient de ceux qui foulent plus commodément les parquets des grandes maisons que l'infecte terre battue des auberges. Tout cela aiguillonna mon ennui. J'engageai la conversation sur un prétexte futile puis j'en profitai pour le féliciter sur la belle coupe de son habit. Son visage s'éclaira. Il me savait d'une condition au-dessus de la sienne et cette marque d'attention le flatta. En société, il faut toujours se souvenir que le compliment fait à un inférieur l'oblige doublement envers vous. D'abord parce qu'il n'aura plus de cesse de vous démontrer
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