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Pour les plaisirs du Roi

Pour les plaisirs du Roi

Titel: Pour les plaisirs du Roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Philippe Hugon
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comme votre propre fille.
    — Disons, une sœur… cela est un peu moins scandaleux.
    Jeanne rit de bon cœur.
    — Et pour M. de Richelieu ? demanda-t-elle.
    — Le duc est notre ami. Il a cependant de grandes ambitions qui vous seront peut-être difficiles à contenter. Faites ce que vous pourrez pour le rendre agréable au roi. Il vous en sera reconnaissant.
    — Et M. d'Aiguillon ?
    — M. d'Aiguillon n'est pas pour grand-chose dans votre carrière jusqu'alors. Il vous porte toutefois un intérêt qui peut être utile. Je vous engage cependant à garder une certaine distance.
    Jeanne ne répondit rien et regarda au loin.
    — Vous savez, madame la comtesse – j'insistais sur le titre –, vous êtes libre de vos inclinations. Je n'en suis pas jaloux. Sachez toutefois que le roi pourrait concevoir de l'ombrage de vous savoir trop intime avec d'autres.
    — Ce n'est pas dans mes desseins, je vous l'assure, dit-elle bien docilement.
    — Pas encore… mais laissons là M. d'Aiguillon. Demain sera le jour d'une nouvelle naissance.
    — Le roi m'a prévenu que toute la Cour serait là.
    — Attention, le public vient pour siffler la pièce.
    — Je ne lui en donnerai pas l'occasion, me répondit-elle fermement.
    — Je vous fais confiance. En cela et pour la suite.
    — Vous le pouvez, mon ami, dit-elle en me serrant le bras.
    Nous rentrâmes ensuite à l'appartement de Jeanne, où nous nous récitâmes nos engagements une heure durant dans son boudoir. Gardez-le pour vous.
     
    Le jour dit, après l'office du soir, le roi prit place dans ses appartements, où devait avoir lieu la présentation. Les portes de son cabinet étaient ouvertes et il s'y tenait debout, près de la cheminée, accompagné de M. de Richelieu ainsi que de plusieurs autres ducs. M. de Choiseul et son parti étaient là en nombre, vêtus avec faste, comme s'ils voulaient qu'on portât les regards sur eux et non sur la favorite. Je me trouvais pour ma part à l'extérieur du cabinet avec la foule des courtisans auxquels s'étaient mêlées toutes sortes de gens : bourgeois, curieux, visiteurs étrangers, et quelques fripons toujours intéressés de se frotter aux beaux habits. À l'heure dite, l'huissier s'apprêta à annoncer Jeanne quand on le prévint qu'elle n'était pas encore là. Les minutes passèrent sans plus de nouvelles. Dans le cabinet du roi, un léger murmure commença à se faire entendre parmi l'assistance. Dix minutes s'écoulèrent. À la Cour, l'étiquette ne tolère aucun retard : même les souverains se font un devoir de cette exactitude. Le roi interrogea vivement le duc, qui ne sut que répondre. Le trouble était palpable et M. de Choiseul observait la scène avec délectation. Un début de sourire pointa au coin de ses lèvres. Moi-même je m'inquiétais, mais pressé au milieu de cent courtisans, je ne pouvais qu'attendre.
    J'allais tenter de me frayer un chemin quand un brouhaha monta depuis la cour de Marbre. Quelques secondes plus tard, j'aperçus Chon et Bischi qui ouvraient difficilement la voie à Mme de Béarn, suivie de Jeanne. Quand elles furent arrivées tout près de l'entrée du cabinet du roi, des suisses leur firent place. Je ne sais ce que relateront les chroniqueurs futurs de cet événement dans leurs ouvrages, mais je veux leur en donner une seule indication : en un instant, le silence le plus religieux remplaça le bourdonnement des messes basses. Parmi cette société habituée à ne s'émouvoir de rien, à cancaner sur tout, et à persifler jusqu'au pied du trône, pas un – et pas une – n'osa briser la grâce de ce moment. Jeanne était dans un de ces jours où il eût fallu être aveugle pour ne pas s'incliner devant le règne de sa beauté. Et même Mme du Deffand, dont les yeux ne voyaient désormais plus, écrira qu'elle ressentit jusque dans sa nuit l'éclat de la comtesse du Barry. Je n'en dis pas plus. De toute façon, vous me croiriez partial. Je vous raconte juste les raisons du retard de Jeanne. M. Legros de Rumigny, poète des perruquiers, grand architecte des monuments en cheveux, passa près de cinq heures de labeur sur la tête de Jeanne. Au moment de paraître, le complexe assemblage de sa coiffure n'était pas achevé : il fallut partir en négligeant quelques frisures. Personne ne le remarqua. Pour les puristes, je signale que Jeanne accomplit les trois révérences avec une justesse digne des virtuoses de cet art, à l'aller comme au retour – peut-être eut-elle une petite

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