Pour les plaisirs du Roi
qu'elle devait endurer.
Vous savez comment sont les princes : ils voient le décor dont on habille leur puissance, jamais les coulisses. Bref, le roi s'étonna de ce qui se tramait dans son dos et convoqua M. de Choiseul pour qu'il tançât sa sœur. Imaginez la scène. Le ministre reçut une bonne frottée, mais nia effrontément ce qu'on lui reprochait. Le roi, qui ne voulait pas se brouiller avec lui, n'insista pas. La suite du séjour à Marly en fut cependant un peu améliorée pour Jeanne. Deux ou trois soirs, on vit même les duchesses de Montmorency et de Valentinois échanger quelques mots avec elle. M. de Richelieu faisait de son mieux pour rallier une à une ses meilleures relations. Il paya aussi un peu la duchesse de Mirepoix – je n'invente rien – afin qu'elle acceptât de tenir compagnie à Jeanne. Bientôt, cette dernière retrouva son naturel affable et humble, promenant alentour cette grâce simple qui lui gagnait doucement des sympathies.
Toutefois, elle apprit vite à faire travailler sa mémoire. Lors du retour à Versailles, je la vis affairée à établir une petite liste avec Chon. Je la questionnai. Elle me répondit que le roi lui avait demandé d'indiquer quelles étaient les dames qu'elle souhaitait voir à Compiègne, où la Cour prenait ses quartiers d'été. Mme de Grammont et quelques-uns des plus actifs de ses agents ne furent pas sur la liste. La manière était plus élégante que de les désigner à la vindicte du roi. Et le résultat fut le même.
Cet été-là, je me rendis plusieurs fois à Compiègne : un plus grand nombre de courtisans y était admis. En qualité de beau-frère de Jeanne, je pouvais faire valoir quelques droits, ne pensez-vous pas ? De plus, la villégiature s'agrémentait de la présence aux environs de quelques dignes maquerelles qui suivaient leurs clients avec leurs troupes galantes. Au fait, et mes pensionnaires ? demanderont les moins prudes de mes lecteurs. Elles allaient très bien, merci pour elles. Mon commerce continuait son train, et si je ne vous en tiens plus au courant des détails, c'est qu'ils seraient un peu rébarbatifs à narrer. À part, peut-être, la liaison qu'entretenait une de mes filles avec une duchesse. Vous avez bien lu. Je ne la nommerai évidemment pas, d'autant qu'elle était à cette époque mariée à un jaloux qui est aujourd'hui toujours son époux.
Les jaloux, voilà un beau sujet de réflexion. Combien sont-ils, par leurs vilaines manières, à avoir précipité ce qu'ils redoutent le plus ? L'immense majorité, je vous l'assure. Dans le cas qui nous intéresse, M. de V* faisait une petite guerre à son épouse chaque fois qu'il lui croyait la mine un peu ouverte à un autre que lui. Ce n'étaient que scènes et reproches et il s'appliquait même à choisir des amis dont la figure était de celles dont on peuple les cauchemars – j'exagère seulement un peu. Bien sûr, comme dans beaucoup de ces affaires, trop de suspicion donna l'idée à l'innocente de se faire coupable. Mais pas comme son mari s'en inquiétait. La dame avait développé au cours de sa jeunesse un goût très sûr pour ses coreligionnaires dans la pieuse institution où elle avait été éduquée. Un mariage l'en sortit à dix-huit ans, mais les bons soins de M. de V* échouèrent à lui faire oublier ses premières amours. Et, pendant qu'il guettait les mâles présences autour de son épouse, celle-ci prit l'habitude de se distraire par quelques badinages intimes avec ses femmes de chambre.
Le hasard voulut qu'au cours d'une soirée à l'hôtel de Soissons, où elle était venue avec son mari, elle croisât une de mes pensionnaires, Mlle Lainé, dite Fanny, également versée dans le genre tribade. Mlle Lainé prodiguait ce soir-là l'autre facette de ses talents à un jeune comte qui l'accompagnait à la table de jeu. Le jeune homme connaissait bien M. de V* : les deux femmes firent connaissance à cette occasion. Dans la secte des invertis, on se devine à certains regards, mieux que chez les membres d'une société secrète. Bref, Fanny et Mme de V* se reconnurent pour ce qu'elles étaient. Une complicité se noua et on décida de se revoir au prétexte d'innocentes visites de courtoisie. M. de V* n'y vit aucune objection, d'autant que ma pensionnaire était fort jolie comme vous pouvez l'imaginer – les jaloux sont souvent des infidèles.
Une après-midi, Fanny se rendit donc chez Mme de V* avec une petite idée en tête. Le mari
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