Pour les plaisirs du Roi
d'un invité à l'autre. Il me fit l'honneur de me reconnaître et m'adressa la parole avec bonté, sans jamais sembler nourrir contre moi un quelconque ressentiment après toutes les calomnies dont on avait dû l'abreuver sur mon compte. Jeanne se pressa cependant de l'entraîner auprès du duc d'Aiguillon, craignant sûrement je ne sais quelle initiative de ma part. Elle ne se doutait pas que l'instrument de ma revanche était à quelques pas de nous.
Mlle de Tournon, désormais vicomtesse du Barry, se montra très irréprochable à l'endroit de sa condition de jeune épousée, néanmoins nous fûmes quelques-uns à lui remarquer un vrai talent d'enjôleuse. Elle sut ainsi se rendre agréable à tous par des minauderies qui auguraient du meilleur. L'attention du roi s'en trouva piquée, puisqu'il demanda à Jeanne de hâter sa présentation à la Cour. Cela pouvait s'entendre comme une marque de paternelle bienveillance ; toutefois, je voulus y lire autre chose. Jeanne n'en conçut de son côté aucune méfiance et se réjouit de cette preuve d'intérêt pour la femme de mon fils.
Dans les semaines qui suivirent, je me rapprochai discrètement de ma belle-fille pour l'entretenir de ses nouvelles responsabilités et de la prospérité de son ménage, comme un honnête beau-père se doit de s'en préoccuper. Avec Adolphe, ils avaient obtenu un appartement au premier étage des Grands Communs : trois pièces sombres mais assez vastes. La jeune mariée m'y reçut au début du mois d'août, à quelques jours de sa présentation au roi. Mon fils était cette après-midi-là en service. La vicomtesse se montra fort attentive aux conseils que je lui prodiguai afin de produire le meilleur effet lors de sa première apparition à la Cour. Je lui parlai en particulier du roi et des bienfaits dont il comblait toujours les mines agréables. Je la prévins également de ne pas s'émouvoir si Sa Majesté lui signifiait des témoignages un peu plus pressants de son contentement. C'étaient là des marques de confiance, lui dis-je, qui honoraient celles qui en étaient l'objet. Ma belle-fille comprit fort bien de quoi je voulais parler, et ne s'étonna de rien. J'avais vu juste, semblait-il, quant à ses secrètes aptitudes. D'ailleurs, au cours de la conversation, je remarquai une aisance nouvelle dans sa manière de s'adresser à moi. Je mis d'abord cette familiarité sur le compte d'une proximité bien naturelle entre un beau-père et sa belle-fille. Cependant, au fur et à mesure, je m'aperçus qu'elle y ajoutait de savants effleurements de sa personne avec la mienne. Je me pinçai presque, mais au bout d'un moment de cette comédie, je dus me résoudre à l'évidence : la femme de mon fils s'essayait à aiguillonner les sens de son roué de beau-père.
Vous ne me croyez pas ? Vous avez tort. Et la suite de l'histoire plaidera malheureusement pour moi. Mais n'allons point trop vite. Faites-moi confiance : la jeune vicomtesse était une libertine trop longtemps contenue dans le corset de sa fierté. Désormais, elle se pensait autorisée à rattraper le temps perdu. Il n'y avait là rien de choquant en soi. Sauf peut-être pour mon fils, qui, en cette matière comme en d'autres, n'usa jamais de ma philosophie. Quoi qu'il en soit, je vous rassure, je n'abusai pas de mon ascendant sur ma belle-fille, mis à part un petit badinage sans importance, qui ne vaut même pas qu'on y revienne.
La présentation de la vicomtesse du Barry attira beaucoup de monde à Versailles. Mon nom était devenu de ceux qui suscitent la curiosité des courtisans. Tout se passa sans anicroche, même si elle n'impressionna pas l'assistance, à l'inverse de Jeanne quelques années plus tôt. Le roi se montra galant homme et proposa à ma belle-fille de venir souper ce soir-là dans ses appartements en compagnie de son mari et bien sûr de Jeanne. Durant toute la soirée, il eut de petites attentions pour elle, sans toutefois outrepasser les règles de la bienséance.
Cependant, l'épouse de mon fils, encore bien mal dégrossie au jeu de la séduction, découvrit un peu vite ses batteries. Elle se crut en mesure de faire la coquette, accapara l'attention du roi, joua un peu de ses atours, et ne quitta pas de la soirée son fameux air fripon. En amour comme à la guerre, si l'on ne prend soin de dissimuler ses manœuvres d'approche, on court le risque d'essuyer de sanglantes répliques de l'adversaire. En l'occurrence, les minauderies de ma
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