Pour les plaisirs du Roi
roi ne voulait point se marier, j'en conclus qu'il n'était pas impossible que, malgré sa passion pour Jeanne, il laissât la porte ouverte à d'autres aventures. Et voyez comme un roué sait ces choses-là : au début de l'automne suivant, j'appris qu'une petite maîtresse s'était frayé un chemin jusqu'aux appartements du roi. Oh, ce n'était rien du tout qu'une passade d'un soir, toutefois elle prouvait comment le roi ne savait se soustraire à ses penchants. Jeanne en fut mise au courant, ce qui, paraît-il, ne manqua pas de lui susciter de l'inquiétude. Les femmes sont ainsi : aussi sûres soient-elles de leur empire présent sur un homme, elles n'en doutent pas moins de rester toujours l'unique dans son cœur. Je comprends cette crainte, d'autant que le temps n'est jamais leur allié. Le roi, tout particulièrement, aimait les jeunes filles, et Jeanne savait bien que chaque année qui passait l'éloignerait de l'idéal du monarque.
Bien sûr, elle aurait pu, comme la Pompadour, servir à son royal amant des oies blanches afin de mieux circonvenir les appétits du roi. Je crois qu'elle l'a tenté, mais sans trop de conviction. Je l'ai dit, n'est pas roué qui veut. Tout cela pour vous dire qu'il me prit donc la fantaisie d'imaginer installer une nouvelle protégée dans le lit du roi. Je n'ambitionnais pas pour elle la même place que Jeanne, mais si j'arrivais à mes fins, le bénéfice pouvait en être conséquent. Après tout, peu de gens étaient aussi au fait que moi des goûts du monarque, et puis, j'avais peut-être sous la main une pièce de choix. Mais cela mérite un peu d'éclaircissements.
Depuis quelques années maintenant, je comptais parmi les fidèles pratiques de ma maison, le prince de Soubise, éminent maréchal de France, et débauché du meilleur ton – il goûta à Jeanne dans les premières années de son commerce chez moi. Il dépensait des fortunes avec des actrices, dont une que je lui avais recommandée, Mlle Guimard, danseuse aux entrechats aussi lestes que sa morale. Pour les amateurs de ce genre de détails, je précise que le prince de Soubise lui avait fait bâtir un petit théâtre à Pantin où il se donnait des pièces licencieuses qui attiraient le Tout-Versailles. Le roi lui-même y vint parfois incognito.
À Paris, le prince me recevait souvent avec quelques-unes de mes pensionnaires en son discret hôtel de la rue de l'Arcade. Ce fut là qu'au cours d'un souper il me parla d'une petite-cousine à lui qu'il voulait sortir de l'embarras. La jeune fille était des plus ravissantes, me confia-t-il, mais elle avait le délicat défaut de n'avoir aucune dot à offrir à un prétendant. En plus de cela, elle affirmait un caractère difficile, doublé d'une haute estime de sa beauté et d'une arrogance en proportion car elle refusait obstinément les riches barbons qui courtisent habituellement les jeunes beautés désargentées. Sachant ma proximité avec Mme du Barry, le prince me demanda donc s'il était possible que cette dernière acceptât de recevoir sa cousine afin de l'aider à se faire une petite place à la Cour, où elle trouverait sûrement plus aisément à se marier. Le service n'était pas de ceux qui se refusent, et je répondis que j'en aviserais Jeanne – malgré nos rapports difficiles, elle ne m'avait jamais déçu pour ce genre de faveur. Sur l'instant, je ne prêtai pas plus attention à la chose. Mais le hasard voulut que quelque temps plus tard, je croise la fameuse cousine au théâtre. Elle y était venue avec le prince, qui en profita pour me la présenter. La jeune fille avait assurément de solides arguments à faire valoir. Elle se nommait Hélène de Tournon, semblait avoir à peine dix-huit ans, et promenait un visage en tout point admirable. Ses formes étaient généreuses, ses mains superbes, ainsi que sa chevelure, qui me fit beaucoup penser à celle de Jeanne. En plus de tout cela, la belle affichait un certain éclat dans le regard, dont seuls les gens de mon espèce savent qu'il est la signature d'une nature vicieuse. Autant de raisons de m'intéresser de près à elle. Et au prétexte de mieux en vanter les qualités à Jeanne, je demandai au prince de me l'envoyer bientôt afin de m'en faire une meilleure idée.
Mlle de Tournon me rendit visite à la fin du mois de décembre. Je m'en souviens fort bien, car le même jour l'Hôtel-Dieu fut détruit par un violent incendie qui empesta l'air de Paris. Je vous rassure tout de
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