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Pour les plaisirs du Roi

Pour les plaisirs du Roi

Titel: Pour les plaisirs du Roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Philippe Hugon
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belle-fille éveillèrent le soupçon dans le cœur de Jeanne. Quelques jours plus tard, cette dernière en glissa deux mots à l'intéressée qui ne trouva rien de mieux, la sotte, que de répondre qu'elle avait seulement suivi les conseils de son beau-père. Autant se jeter dans la Seine avec une caisse de boulets dans les bras.
    Évidemment, Jeanne exigea aussitôt de me voir. Je vous passerai la recension de notre entrevue. Ce fut bien triste à entendre : Jeanne me promit presque la lettre de cachet. Elle me traita de père indigne, brailla qu'elle n'avait jamais rien connu de pire que moi – j'en doute –, et me prévint qu'elle allait requérir du roi qu'on m'exile dans mes terres. Mes sœurs étaient présentes et assaisonnèrent de leur fiel toutes ses récriminations. Je ne me défendis pas, un peu las, je l'avoue, du tour que prenait cette affaire. Et puis, au ton de Jeanne, je saisis qu'il se pouvait qu'elle mît ses menaces à exécution. Une retraite s'imposait. De toute façon, le roi ne paraissait pas enclin à goûter plus avant aux charmes de la jeune vicomtesse. Je ne sais si ce fut Jeanne qui l'en dissuada ou s'il s'en guérit tout seul, mais il n'en parla plus. Les rois sont versatiles, c'est connu.
     
    Je me remis très vite de l'échec de mon projet, et je repris le cours de mon existence, bien décidé à profiter d'une fortune âprement acquise. L'année finit sans que je ne me montre à Versailles. Je vaquais à mes petites affaires, récupérant notamment de haute lutte trois cent mille livres auprès de M. Beaujon, pour l'installation de mon fils et de ma belle-fille à Paris. Jeanne ne s'y opposa pas, contente de voir s'éloigner l'objet de son ressentiment. Je louai pour eux au début de 1774 un bel appartement près du Palais-Royal, puis je donnai à Adolphe cinquante mille livres afin de satisfaire aux dépenses de son installation. Il me resta deux cent trente mille livres. De son côté, la jeune vicomtesse du Barry se laissa aller à sa nature, tandis que mon fils entra dans la carrière du cocu qui ignore ce que tout le monde sait. Je l'aurais bien averti, mais l'expérience démontre qu'il faut laisser à la victime le loisir de s'affranchir seule de ce genre de connaissance. La leçon n'en est que meilleure. Ne jamais asséner le savoir mais laisser l'élève s'en emparer, c'est d'ailleurs l'enseignement de M. Rousseau dans son excellent ouvrage sur l'éducation. Voyez le pédagogue que j'étais.
     
    Au mois d'avril, Guillaume me donna de ses nouvelles car il se trouvait en manque d'argent. Après plusieurs mois d'une vie tapageuse, il avait engrossé une pauvrette rencontrée dans un taudis du faubourg. Sûrement pour occuper son ennui, il s'était ensuite piqué de reconnaître l'enfant, et l'avait ramené à Toulouse, sans cependant calquer sa tempérance sur celle d'un bon père de famille. Ses rentes ne suffisaient plus à assurer son train, ni à payer les créanciers qui réclamaient le remboursement de fortes sommes qu'ils lui avaient prêtées pour se faire bâtir une folie aux environs de Toulouse. Dans sa lettre, il se plaignait aussi qu'à la fin de l'année précédente de vilaines émeutes lui aient valu de perdre beaucoup d'argent, à cause des pillages de dépôts de blé dans lesquels il possédait soi-disant des intérêts. J'avais effectivement entendu parler de ces troubles et des violences qui les avaient accompagnés à Toulouse et dans tout le Midi ; cependant, je doutais que mon frère en eût le moins du monde souffert : il n'était pas assez habile pour s'associer à ceux qui spéculaient sur la famine pour faire monter les prix des grains. Bref, je lui répondis avec ironie d'écrire à sa femme ou à mes sœurs, ou bien encore au roi afin de l'avertir des déboires que lui causait la politique du gouvernement. J'en avais soupé des lamentations de ma famille.
    À cette époque, je retournai fréquemment à Versailles, malgré les menaces de Jeanne. J'y gardais toujours beaucoup d'amis, en particulier le jeune comte de Guibert, dont l'ouvrage de tactique militaire venait de lui acquérir la célébrité dans toute l'Europe. Il y prônait la refonte complète de l'art de la guerre, plaidant pour le mouvement permanent contre l'immobilisme des vieilles manières. Une stratégie qu'il appliquait également à sa vie amoureuse puisqu'il était un actif compagnon de débauche. À la fin du mois d'avril, le vingt-neuf exactement, j'avais rendez-vous avec

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