Pour les plaisirs du Roi
qu'un signe pour revenir.
— Si cela est, il faut nous préparer au pire, pensai-je à haute voix.
Les pleurs de Bischi redoublèrent.
— Je crois surtout qu'il ne faut pas s'attarder ici, dit Chon. Nous partons pour Paris, chez Adolphe. Ensuite, nous nous rendrons sûrement à Toulouse, nous verrons bien. Et toi, que vas-tu faire ?
— Rester.
— Rester ?
— Oui. Je sais qu'on persifle déjà sur mon passage. Mais j'aime cela : je veux être aux premières loges quand tout s'effondrera. Et puis, il ne sera pas dit qu'une petite vérole fait fuir le comte du Barry…
— Tu es un fou.
— Peut-être. En attendant, je logerai dans cet appartement. Il ne faudrait pas qu'on vous le vole, conclus-je dans un éclat de rire.
Chon haussa les épaules, et me laissa pour achever ses préparatifs, tandis que Bischi, à court de larmes, restait prostrée dans un fauteuil. À six heures du soir, les deux prenaient la route de Paris. Je demeurai seul.
Ne croyez pas qu'il subsistât encore dans ma tête les effluves des excès de la nuit précédente. Lorsque je décidai de rester à Versailles, alors que tout me le déconseillait, j'avais les idées fort claires. Mais c'est ainsi : on ne quitte pas la table parce qu'on perd, surtout après avoir beaucoup gagné. Ce serait manquer d'élégance.
Les quatre jours qui suivirent, le roi tint bon face à la maladie, même si ses confesseurs commençaient à faire le siège de son lit. Les vésicatoires tiraient abondamment l'humeur, et il restait encore de l'espoir : le roi avait souvent déjoué les funestes pronostics. Pour ma part, je m'installai chez ma sœur. Je pris Simon avec moi. Ce dadais n'avait trop rien compris à ce qui se jouait, cependant il m'apparut qu'il pouvait être utile si les choses tournaient mal. M. de Richelieu m'avertit en effet de méchantes rumeurs sur mon compte. Plus la santé du roi déclinait, plus des petits messieurs se permettaient quelques outrances à mon sujet. Oh, bien sûr, jamais en ma présence, car on sait comment le courtisan rebute à s'exposer. Mais il était bien clair que quelques-uns attendaient dans l'ombre le moment de la curée. Pour refroidir les ardeurs, je m'amusais chaque jour à arpenter les galeries du château : l'exercice m'était un précieux baromètre de la santé du roi. Le matin, si on annonçait qu'il avait discuté avec ses ministres, que les vésicatoires opéraient, on me saluait obligeamment. Le soir, s'il se disait que la journée du roi avait été mauvaise, qu'il s'était plaint plus que d'habitude, les regards se détournaient, et je pouvais déambuler une heure dans le château sans que l'on vînt vers moi. Seul M. de Richelieu me restait un fidèle soutien.
Le lundi neuf mai, après une nuit difficile, le roi montra des signes de délire. Il ne reconnut pas ses médecins. La fièvre augmenta, puis redescendit un peu, mais la consternation était générale. On était dans le dixième jour de la maladie depuis sa franche déclaration, et la suppuration s'arrêta. Le mal s'écoulait désormais en dedans du corps du roi. Ses boutons séchèrent, puis devinrent foncés, l'empêchant même d'ouvrir les yeux. M. de Richelieu me dit que son visage était pareil à un masque de bronze. On tenta de lui donner des remèdes afin de l'aider à respirer, mais rien n'y fit. La gorge se remplissait de pus. Le confesseur fit son office.
Cette après-midi-là, je restai trois bonnes heures dans les jardins. Le temps était au beau, et une légère brise faisait plisser les eaux du Grand Canal. Je m'installai sur un banc où je relus avec beaucoup de plaisir le livre de M. Cazotte, Le Diable amoureux . Je le conseille. En rentrant, je trouvai sous la porte de l'appartement de mes sœurs une vilaine lettre dont l'anonyme auteur me promettait de suivre bientôt le roi. C'était une attention charmante. Dans la soirée, M. de Richelieu vint me prévenir qu'il me fallait quitter Versailles au plus tôt : le roi était entré en agonie. Il ne servait plus à rien de rester, à moins que je ne voulusse attendre stoïquement qu'on me fît un mauvais sort. Je rassemblai quelques affaires et quittai Versailles à onze heures du soir. Dans les appartements de la Dauphine, il y avait une grande illumination.
Chapitre XLII
L e roi mourut en bon chrétien. Sa famille fut contente. Il fit cependant attendre le moment de paraître devant Dieu jusqu'à trois heures un quart de l'après-midi, le mardi dix mai 1774. Il
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