Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Pour les plaisirs du Roi

Pour les plaisirs du Roi

Titel: Pour les plaisirs du Roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Philippe Hugon
Vom Netzwerk:
apparaître. Certes, il pleuvait, mais je jugeai cela curieux. Rue Croix-des-Petits-Champs, je me retournai à nouveau : le cavalier avait disparu. Et jusqu'à chez mon fils, il ne se montra plus.
    Mes sœurs étaient levées et s'affairaient elles aussi à préparer leur départ. Chon m'expliqua comment Jeanne lui avait fait parvenir la veille une longue lettre où elle la mettait en garde contre les sévères représailles de nos ennemis. De ce que d'Aiguillon savait, la Dauphine, désormais reine, entendait châtier les du Barry, tous, sans exception. Elle ne voulait plus en voir aucun à Versailles et projetait d'envoyer Jeanne au couvent, de priver mes sœurs de leurs rentes, et de retirer à mon fils son brevet d'officier des chevau-légers de la garde. Pour ma personne, c'était encore plus précis : une lettre de cachet avait déjà été signée afin de m'expédier dans une geôle de Vincennes. Au moins, je n'aurais pas fait mes préparatifs de voyage pour rien. En plus de ces douces nouvelles, Chon me remit une lettre de Jeanne à mon intention, mais sa lecture ne fut pas la première chose qui me préoccupa : je la glissai dans une poche sans l'ouvrir. J'eus ensuite à peine le temps de saluer mon fils et ma belle-fille, qui se piquèrent d'ailleurs de me réclamer de l'argent en un moment si pénible. Je ne cédai sur rien, et laissai bien vite derrière moi ces vampires.
     
    Il me fallait maintenant rentrer ventre à terre chez moi : les sbires de M. de Sartine s'étaient peut-être déjà mis en route. Le chemin se passa sans encombre. Je me pensais presque arrivé à bon port quand, tout à coup, le fameux cavalier vert réapparut. Il déboucha de l'entrée de la rue de la Jussienne, l'air de me couper le passage. Je regardai alentour : il paraissait seul. Je m'approchai lentement de lui. Nous n'étions plus qu'à trois pas l'un de l'autre lorsqu'il m'apostropha :
    — Vous voilà bien matinal, monsieur le comte.
    Cette voix… Le cavalier avait le col de son manteau rabattu sur le visage et je ne pouvais distinguer que ses yeux, mais très mal, car la pluie avait forci.
    — À qui ai-je l'honneur ? demandai-je, à la fois inquiet et impatient de la réponse.
    L'homme ne répondit rien. À l'expression que prit son regard, il me parut qu'il souriait.
    — Voilà longtemps que nous ne nous sommes vus, dit-il. Je vais vous rafraîchir la mémoire.
    Et il déboutonna lentement le haut de son manteau afin d'en écarter les pans qui le cachaient. Une hideuse et large cicatrice en creux barrait sa figure, depuis la pommette droite, juste sous l'œil, jusqu'à la moitié de la joue gauche. Le nez en était comme coupé en deux parties. Et s'il n'avait affiché son déplaisant rictus, le chevalier de Kallenberg aurait été méconnaissable.
    — Vous semblez surpris, s'amusa-t-il.
    — C'est que je ne croise pas tous les jours un fantôme, répondis-je en me demandant sincèrement si ce n'était pas un revenant – même les plus cartésiens ont le droit de croire à l'impossible, une fois dans leur vie. Il fallait cependant se rendre à l'évidence : ce diable avait survécu au terrible coup de poignard de Simon, cinq ans plus tôt.
    — Je suis bien vivant, monsieur du Barry. Et j'entends d'ailleurs vous le prouver à quelques pas d'ici en vous passant mon épée au travers du corps.
    — Voilà une démonstration qui a le mérite de s'épargner les fioritures.
    — Je vous crois assez pressé.
    — Je le suis en effet, mais une affaire d'honneur est un rendez-vous qui ne souffre aucun report.
    — Allons près des Champs-Élysées. À cette heure, nous n'y serons pas dérangés, proposa-t-il
    Et nous nous mîmes en marche sans plus de formalités.
    Voyez comme la vie est étrange : au moment où j'aurais dû monter dans ma voiture pour fuir ceux qui me voulaient du mal, je me retrouvais cheminant aux côtés de quelqu'un qui m'en souhaitait plus encore. M. de Kallenberg semblait savourer la situation : il ne marchanda pas les explications sur ces étonnantes retrouvailles.
    — Depuis notre dernière rencontre, il s'est écoulé bien du temps. Mais je n'ai jamais désespéré de recroiser votre route. Pourtant, on s'est employé à ne pas me rendre la tâche aisée, dit-il en effleurant son horrible cicatrice du bout de ses gants. Les médecins de monseigneur le prince de Conti ont toutefois su réparer un peu les conséquences de la lâche agression dont je fus la victime. D'autres en seraient morts, pas

Weitere Kostenlose Bücher