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Pour les plaisirs du Roi

Pour les plaisirs du Roi

Titel: Pour les plaisirs du Roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Philippe Hugon
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était dans sa soixante-quatrième année. Son règne dura cinquante-deux ans, et je crois qu'on le jugera mal. Pourtant, Louis XV ne fit pas mieux ni pire que son auguste prédécesseur. C'est mon avis. Il laissa le royaume en un état passable ; quel roi l'a laissé prospère ? Il avait de véritables qualités, mais ne sut jamais s'en convaincre, et se livra au pouvoir des femmes pour fuir celui des hommes. Qu'on veuille juste se souvenir qu'il perdit son père et sa mère ainsi que son seul frère à l'âge de deux ans. Peut-être comprendra-t-on ainsi la complexité de son âme. Pour ma part, je conserve de ce souverain le souvenir d'un homme d'une rare élégance, et d'un excellent goût qui a fait ma fortune.
     
    Quelques minutes après la mort du roi, M. d'Aiguillon envoya un messager à Mme du Barry pour l'en informer. Elle était toujours à Rueil, avec l'épouse du duc. Nul ne savait ce qu'il allait advenir, mais il ne fallait attendre aucune clémence des nouveaux souverains. Car le Dauphin et la Dauphine venaient de devenir roi et reine de France. En quittant Versailles la veille, M. de Richelieu m'avait prévenu que des représailles se préparaient déjà contre Jeanne et moi. Je comptais cependant sur un petit délai, le temps des obsèques du roi, avant qu'on entreprît de s'emparer de ma personne. Il ne serait pas de trop pour prendre un peu d'avance sur mes ennemis. J'avais un peu l'habitude de ces départs précipités, ce qui me simplifia la tâche. Dans la soirée du dix mai, je courus chez Nallut pour mettre de l'ordre dans mes affaires. Je lui demandai de veiller également sur ma maison, ainsi que sur ma propriété de Fontainebleau. Brave Nallut, il m'avait constamment bien servi. Je ne doute pas qu'il m'ait aussi un peu volé, mais il l'a toujours fait avec mesure. De retour chez moi, je chargeai Simon de préparer ma voiture, en y embarquant le plus d'effets possibles de ma garde-robe. Par ailleurs, je rassemblai quatre cent mille livres en papier dans un portefeuille, avant de réunir dans un petit coffre quelques bijoux et pierres précieuses d'un montant de cent mille livres, au moins. Chez Nallut, j'avais aussi récupéré douze mille cinq cents livres en dix rouleaux de double-louis. Voilà pour mon viatique.
    Sur les coups de onze heures du soir, alors que mes préparatifs étaient bien avancés, on frappa à ma porte. C'était un domestique de Chon, qui m'apportait un billet dans lequel elle me conviait à venir la voir chez mon fils, le lendemain, très tôt. Cela me contraria passablement car j'avais décidé de partir durant la nuit en direction de Neuchâtel. Eh oui, la Suisse, à nouveau. Mais ce n'était qu'une étape car j'envisageais de me rendre ensuite en Italie. Je caressai un instant l'idée de ne pas répondre à l'invitation de ma sœur ; cependant, la curiosité eut raison de la prudence et je repoussai mon départ au lendemain. Au passage, cela me laissa le loisir de prévenir mes filles. Je ne pus toutes les voir, mais je chargeai Flora et Myriam, qui m'avaient si bien soigné, rappelez-vous, d'informer leurs coreligionnaires. Elles furent bien tristes, quoi que je ne doutasse pas qu'elles sauraient vite faire fructifier ailleurs les belles manières apprises dans ma maison.
    Le lendemain, onze mai, après une nuit fort courte, je me levai très tôt et m'habillai en vêtements de voyage : j'étais bien décidé à quitter Paris avant midi. Dès six heures, je fis seller un cheval afin de me rendre chez mon fils. Une petite pluie fine mouillait le pavé. Depuis mon hôtel de la rue de la Jussienne jusqu'au Palais-Royal, il faut peu de temps. À cette heure-là, Paris est encore calme, même si cette cité ne connaît jamais vraiment de répit. Seuls les portefaix, quelques bambocheurs, et les artisans qui ouvrent leurs boutiques animent les rues. J'étais rendu à la moitié du chemin, quand une désagréable impression m'assaillit. Certains d'entre vous, qui n'ont jamais quitté leurs pénates, ne le savent peut-être pas, mais l'intuition d'un fugitif est au moins décuple de celle d'un homme qui lit tranquillement au coin de sa cheminée. Bref, une alerte raisonna bientôt en moi. À l'angle de la rue des Deux-Écus, je me retournai soudainement : un cavalier tout enveloppé dans un long manteau de couleur verte se tenait à un peu plus de vingt pas. On ne pouvait distinguer son visage. J'eus même le sentiment qu'il prenait grand soin de n'en rien laisser

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