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Pour les plaisirs du Roi

Pour les plaisirs du Roi

Titel: Pour les plaisirs du Roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Philippe Hugon
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une très légère moue que mon homme prit – à juste titre – pour l'expression d'un doute. Il reposa le verre qu'il s'apprêtait à vider, la mine contrariée.
    — Je suis un homme de l'art, ce sont des faits que le commun ignore mais que notre profession ne peut méconnaître, m'asséna-t-il gravement.
    L'espace d'un instant, j'avoue avoir eu l'envie de lui caresser l'échine de quelques coups de canne pour lui enseigner à mesurer son caquet. Mais il n'en soupçonna rien et je l'engageai cordialement à poursuivre en l'assurant de ma confiance en la qualité de ses sources. Une autre rasade de bordeaux acheva de le convaincre de mon estime.
    — Vous savez, cette Pompadour – il était de plus en plus familier – n'a pas que des assiduités avec les banquiers, elle est fort éclectique et se pique de philosophie tout autant que de politique. Pour ce que j'en comprends, ce sont d'ailleurs deux mêmes choses. Elle se fait ainsi une gloire de s'afficher avec le parti des philosophes que M. d'Arnouville a l'audace de soutenir jusque dans le Conseil du roi.
    — Et Sa Majesté ne s'en scandalise pas ?
    — Peut-être, mais Elle tolère…
    — Alors, c'est un roi philosophe…
    — Ne plaisantez pas, monsieur, cela est grave. Et M. de Richelieu me peine lorsqu'il donne lui aussi la main à ces gens. Mais pourquoi diable veulent-ils renverser l'ordre naturel des choses ? L'ancien, le seul, le véritable, celui qui fait que vous êtes où vous êtes et que je suis où je suis. Oui, je suis roturier, mais je m'en trouve fort heureux. Et c'est parce qu'il y a des hommes comme monsieur le duc que mon père avant moi et mon fils après moi ont vécu et vivront sans connaître la gêne. Les philosophes et tout leur galimatias ne me chauffent pas en hiver ; ces beaux habits dont vous me complimentez, ce ne sont pas leurs généreuses pensées qui me les paient. Je vous le dis, si l'on n'y prend garde, tout cet esprit de nouveauté gâtera le siècle. Et ce M. Voltaire que mon maître apprécie tant est de ces individus qui un jour affameront ceux qui les nourrissent, j'en suis certain !
    Maintenant bien grisé, il parlait fort et ne voulait plus s'interrompre.
    — Ce Voltaire est présentement en Prusse, m'a-t-on dit, le grand Frédéric s'en est lui aussi entiché : très bien, qu'il y reste ! Heureusement que notre roi n'a pas de ses amitiés-là… Il a auprès de lui le parti des dévots mené par le secrétaire d'État à la Guerre, le comte d'Argenson. Un excellent homme, lui…
    — Le roi est dévot ? fis-je, feignant la naïveté.
    — Euh… je ne sais… mais il est à l'âge où la maturité enseigne de se préoccuper du salut de son âme.
    — Allons, allons, il a tout juste quarante-trois ans…
    — Souvenez-vous que son père est mort à vingt-huit ans !
    — De la variole…
    — La preuve qu'il faut se préparer à tout. Et puis, le parti des dévots dont je m'honore d'être un chaud partisan – il parlait de plus en plus haut – œuvre pour le roi, mais aussi pour le Dauphin, Louis-Ferdinand. C'est un prince pieux, discret et très sobre. Je bois à sa santé ! Vive le Dauphin ! hurla-t-il alors sans prévenir, en renversant la moitié de son verre sur sa manche.
    À la table voisine, deux portefaix endormis grognèrent leur mécontentement pendant que l'épouse de l'aubergiste ne put réprimer un cri de surprise. Le comptable s'excusa et voulut faire servir une autre bouteille, mais j'estimais qu'il était temps de prendre congé. Je le laissai en lui conseillant d'en faire autant, ce qui ne l'empêcha pas de commander un nouveau verre de clairet.
     
    Le lendemain, nous entrâmes dans Paris à midi, bercés par le ronflement du comptable qui n'ouvrit les yeux que pour me voir descendre de la voiture.

 
    Chapitre VI
    N e comptez pas sur moi pour vous faire un tableau de Paris du pinceau dont quelques-uns se plaisent ordinairement à barbouiller cette cité. Je sais qu'il est de bon ton d'en fustiger les odieuses tares, les turpitudes ou les traquenards, comme la bonne éducation enseigne d'y bannir une trop longue oisiveté. Mère de tous les vices – de l'avis des honnêtes chroniqueurs –, cette ville ne trouve grâce – chez les mêmes – que par son industrieuse activité à laquelle on doit tout de même une belle part de la prospérité du royaume. Mais comme il en va souvent, le revers de la médaille intéresse toujours plus que son front. Pourtant, moi qui me flatte d'avoir visité

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