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Pour les plaisirs du Roi

Pour les plaisirs du Roi

Titel: Pour les plaisirs du Roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Philippe Hugon
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beaucoup d'autres capitales en Europe, je puis affirmer sans crainte d'être contredit que Paris est plus sûre que Londres, moins froide que Berlin, plus éduquée que Madrid, moins ruinée que Rome et pas plus sale que les quatre réunies. Mais j'y reviendrai.
    J'arrivai donc dans cette grande cité l'esprit plein d'impatience. Néanmoins, les voyageurs savent que, même pour un gentilhomme, les premiers pas dans une ville où l'on n'a ni parents ni alliés ne sont pas aisés, loin s'en faut. Je m'en remis donc aux recommandations du curé pour dégotter une hôtellerie de bon goût. Il m'indiqua avec assez de justesse, je dois le dire, un excellent établissement installé au 21 de la rue Croix-des-Petits-Champs, juste à côté du Palais-Royal : l'Hôtellerie de Bretagne – je le conseille à mon tour. Là, je louai au premier étage un charmant appartement fort bien meublé. L'endroit était fréquenté par des personnes de qualité, voyageurs ou militaires, qui séjournaient quelque temps à Paris. Au chapitre des anecdotes plaisantes, on me conta que c'était dans cette hôtellerie que, incognito, le roi avait eu ses premiers rendez-vous avec Mme de Pompadour. Je ne sais si l'histoire est vraie, bien que d'autres m'aient plus tard certifié qu'elle était pêchée à de bonnes sources. Quoi qu'il en fût, je passai pour ma part très sagement ma première nuit dans cet établissement. Je m'y endormis provincial, mais c'est en Parisien que je me réveillai.
     
    Mes premiers débours furent consacrés à étoffer ma garde-robe, la mienne n'étant composée que du strict nécessaire. Je me rendis chez le tailleur indiqué par le comptable lors de notre instructive conversation, ce qui me donna l'occasion de ma première déambulation parisienne. Quelle cité que Paris ! J'ai déjà dit plus haut combien elle ne mérite pas l'opprobre dont certains veulent la flétrir. Las, malgré les pisse-froid et les censeurs, je ne peux oublier l'impression qu'elle me fit alors. Trois décennies plus tard, je conserve d'ailleurs tout l'enthousiasme de mes trente ans lorsque j'y retourne.
    À l'époque, elle comptait déjà plus d'un demi-million d'âmes qui s'affairaient dans un décor hétéroclite où les majestueuses constructions s'adossaient fréquemment aux pires taudis. Dans un perpétuel chantier, des bâtiments sortaient de terre presque tous les jours pendant que d'autres s'augmentaient d'un niveau supplémentaire à chaque génération. Sur un rez-de-chaussée datant de Charles IX, était posé un entresol de l'époque d'Henri IV, sur lequel s'était ajouté un étage sous Louis XIII et un autre du temps de Louis le Grand. Quand ce n'était pas suffisant, la ville poussait ses remparts et dévorait la campagne aux quatre points cardinaux ; les faubourgs attiraient toujours plus de monde, pas de la meilleure société, j'en conviens. Et les Parisiens me direz-vous ? Ici, gentilshommes, bourgeois, portefaix, marchands, avocats, mendiants, tire-bourses, prostituées, prêtres, faux infirmes ou vrais poètes se coudoient à toute heure du jour et de la nuit. Que celui qui aime la nouveauté et l'aventure se frotte aux ruelles de cette cité, il en aura pour sa bourse, et je l'accompagne volontiers. Pour les autres, ne quittez pas vos pantoufles, restez au coin de la cheminée : Paris n'est pas pour vous.
     
    Ma première visite fut donc pour un tailleur. Celui du Palais-Royal me parut fort avisé et je lui passai commande de trois habits à la française, dont deux de brocart et un de velours, de cinq paires de culottes de soie, d'autant de vestes et d'une demi-douzaine de chemises à jabot à dentelles et cols de mousseline. J'ajoutai trois paires de souliers à boucle carrée, comme c'était la mode du moment – depuis toujours, je passe pour un homme élégant et j'avoue que ma mise m'a souvent gagné les sympathies féminines comme les jalousies masculines. Ces achats accomplis, il me prit le souci de découvrir la ville sans pour autant me faire reconnaître. J'avais un billet d'introduction auprès de Mme du Deffand, mais il me sembla prématuré d'entrer en contact avec elle ; je voulais d'abord m'affranchir seul des us et coutumes de cette grande cité.
    Durant les premiers jours, je me fis indiquer par le concierge de mon hôtellerie quelques lieux remarquables dans lesquels je me rendis sans publicité. Pour un homme de qualité, Paris offre de nombreux divertissements dont quelques cafés des plus

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