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Pour les plaisirs du Roi

Pour les plaisirs du Roi

Titel: Pour les plaisirs du Roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Philippe Hugon
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prodigue même parfois…
    — J'imagine que monsieur le duc a une belle fortune, et qui ne date pas d'hier.
    — Ni d'avant-hier. Cependant…
    Il s'interrompit, fit mine de réfléchir puis reprit :
    — Vous savez, de par ma fonction, je vois beaucoup de choses, mais le silence est mon lot. Je puis juste vous dire sans trahir de secrets, car Paris en bruisse depuis longtemps, que les affaires du duc ont moins de santé que lui. Et mes livres pourraient faire du vacarme si je n'étais entièrement dévoué à sa personne.
    — Pourtant, insistai-je, un si grand nom doit nécessairement bénéficier d'un grand crédit.
    Le bonhomme parut s'agacer :
    — Dites plutôt de grandes dettes. Je fais de mon mieux, mais il se moque de mes mémoires, perd mes notes, ignore mes comptes ! Mon père avait coutume de dire que l'arithmétique gouverne les hommes : certains sont destinés à additionner ou à multiplier, et d'autres naissent pour soustraire ou diviser. M. de Richelieu, lui, est d'un autre genre : il dilapide sans jamais calculer.
    Après cette dernière bordée, mon homme – dont je peine à me souvenir du nom – s'interrompit à nouveau pour jauger de l'effet de ses propos. Aimablement, je le réconfortai et le plaignis même pour les difficultés que lui suscitait son service auprès du duc. En fait, vous me connaissez maintenant, ce portrait était loin de me rebuter. Peut-être cela aurait-il dû si j'avais été un autre. Mais j'étais déjà moi. Et malgré les traits désobligeants des confidences de mon interlocuteur, son tableau me plut positivement. Afin d'encourager l'artiste à poursuivre son œuvre, je commandai une bouteille de bordeaux dont je nous servis deux bons verres. Le comptable reprit le pinceau sans se faire prier :
    — M. le duc est intrépide, c'est de notoriété publique. Son courage sur les champs de bataille lui a valu le titre de maréchal de France, comme vous le savez ; toutefois, je prétends que ce bâton ne l'exonère pas de devoir faire preuve de prudence en d'autres lieux. Car rien ne semble l'effrayer : ni les combats, ni les créanciers, et encore moins les puissantes jalousies suscitées par ses succès de cœur.
    — Ses succès de cœur ? le relançai-je, en souriant.
    Il eut un temps de silence et presque à mi-voix, il ajouta :
    — Oui monsieur, malgré son âge, je vous l'ai dit, le duc n'est jamais en reste pour alimenter la gazette. À la Cour, on le surnomme l'Alcibiade français. Sa Majesté elle-même, dit-on, s'agacerait de ce rival… Vous rendez-vous compte, monsieur, le roi…
    Abandonnant toute prudence – le vin crée souvent cette sorte de connivence entre deux étrangers –, il se hasarda même à supputer que le duc pût lorgner sur Mme de Pompadour. Après tout, comme je l'appris plus tard, il ne faisait que se faire l'écho d'un ragot de cuisine dont beaucoup disaient qu'il trouvait sa source chez la favorite elle-même. Quoi qu'il en fût, mon homme était bien lancé, et le clairet bordelais continua de lui délier une langue qu'il avait finalement bien pendue. Ce fut au tour de Mme de Pompadour d'essuyer l'ire du sévère comptable.
    — Savez-vous qu'elle vient de la roture ? décocha-t-il d'un ton passablement dédaigneux.
    — Je la croyais pourtant de bonne souche, répondis-je placidement, mais avouez qu'il était piquant d'entendre ce maraud s'indigner que la favorite du roi ait les mêmes origines que lui.
    — De bonne souche ? Sûrement pas, reprit-il, ou alors de celle que l'on trouve au fond des rivières : elle s'appelle Poisson ! Ses lettres de noblesse, elle les doit à un heureux mariage avec Charles-Guillaume Le Normant d'Étiolles avant qu'elle ne s'en sépare et que le roi ne lui fasse don du marquisat de Pompadour… J'ai souvent entendu monsieur le duc plaisanter à ce sujet. Lui, il l'appelle Mme Limande, tant son manque de formes fait pitié. Je ne sais ce que le monde lui trouve. Je l'ai vue deux fois, de loin il est vrai, mais suffisamment pour la jauger. Assez jolie de traits, elle a la tête juchée sur un long cou qui prolonge un corps auquel la nature n'a pas voulu donner d'appâts. Il y en a de plus belles, pour sûr, mais elle n'en a pas moins accaparé le roi. Il lui passe tous ses caprices. Rien que cette année, il lui a offert l'hôtel d'Évreux, en plein Paris, pour sept cent trente mille livres ! Il projette même de lui bâtir un nouveau Trianon en plein cœur de Versailles.
    — Elle doit avoir de biens

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