Pour les plaisirs du Roi
qu'il est à la hauteur de vos louanges. Ensuite, s'il ne l'est pas, il n'en sera que plus soumis, de peur de perdre votre estime. Mon homme adopta la première posture en me donnant l'adresse de son tailleur qui avait pignon sur rue au Palais-Royal. Content de lui, il ne s'arrêta pas en si bon chemin et ne put s'empêcher d'ajouter que ce digne artisan avait également parfois la clientèle de son maître, le duc de Richelieu, pour ses vêtements de voyage. Je pris l'air étonné. Avec d'autant moins de difficulté que je l'étais vraiment d'entendre prononcer un nom si prestigieux dans une auberge si minable et par un interlocuteur si insignifiant. Le bonhomme déboutonna sa veste d'une mine de triomphe et, sur le ton de la confidence, me révéla qui il était.
— Monsieur le comte, je n'ai pas pour habitude, vous vous en êtes sûrement rendu compte, de m'épancher sur mes activités. Mais vous êtes assurément une personne de qualité, à même d'apprécier la nature de ma mission auprès d'un si puissant personnage que Louis François Armand de Vignerot Du Plessis, duc de Richelieu et de Fronsac, baron de la Ferté-Bernard, marquis du Pont-de-Courlay, comte de Cosnac, prince de Mortagne, baron de Barbezieux, de Cozes, de Chamadelle et d'Albret, seigneur de Coutras.
Il avait débité les titres du duc d'un trait, doctement et presque religieusement, comme si l'inventaire de cette litanie l'ennoblissait un peu lui-même. Je le laissai retrouver son souffle avant de me composer un air captivé qui l'engagea à en raconter plus sur son maître, en domestique qu'il était.
— Voilà près de quinze années maintenant que j'ai l'honneur de servir ce prince, m'expliqua-t-il. Je n'ai qu'à m'en réjouir. Comme vous l'avez peut-être remarqué, je suis très versé dans les chiffres. Ce modeste talent me sert tous les jours auprès de Son Excellence pour tenir ses livres de comptes. Cette place m'a été léguée par mon propre père à qui le duc témoigna toujours la plus grande confiance. Et j'ai l'humble prétention de faire cas des intérêts de M. de Richelieu comme s'il s'agissait des miens. Dieu m'est témoin que ce n'est pourtant pas aisé tous les jours, ajouta-t-il d'un air entendu.
Avez-vous remarqué comme les petites gens commencent toujours par louer leurs protecteurs avant de placer quelques critiques sourdes qui leur semblent les racheter de n'être que des parasites ? Mon bonhomme ne dérogea pas à cette règle universelle. Je l'écoutais car je n'avais rien d'autre à faire, mais aussi car il me donna quelques indications précieuses sur la scène où j'allais bientôt faire mon entrée. Du moins, à cette époque, je l'espérais.
— Le duc est assurément un des êtres les plus aimés et les plus aimables de Paris, reprit-il. Et depuis sa valeureuse conduite à la bataille de Fontenoy, il y a huit années maintenant, ses bonnes fortunes lui ont acquis une seconde jeunesse.
— Quel âge a-t-il donc ? demandai-je.
— Bientôt cinquante-huit ans mais il en parait quinze de moins. Et peu de gentilshommes de son âge peuvent se vanter d'avoir une si belle santé. Debout à pas d'heure, couché au chant du coq, il n'affectionne rien tant que de dîner au moment du souper et de souper à l'heure où le commun déjeune. C'est une habitude de sa jeunesse, m'a-t-on dit, quand le Régent, monsieur le duc d'Orléans, l'envoya quatorze mois à la Bastille pour refroidir ses ardeurs.
— À la Bastille… ? Mais qu'avait-il donc fait pour mériter cela ? hasardai-je, de plus en plus intéressé.
— Je ne sais si tout ce que l'on raconte sur lui est vrai, mais beaucoup soutiennent qu'il était alors un des plus éminents débauchés de Paris. Et, paraît-il, un des plus intrigants aussi… Avec cela, d'une imprudence rare. Tant et si bien qu'un beau jour le Régent se piqua de l'expédier faire la conversation au bourreau.
— Bigre…
— Eh bien, figurez-vous que c'est une femme qui lui évita le billot !
— Bigre !
— Et vous savez qui ?
— Non… Qui ?
— La propre fille du Régent !
— Il avait séduit la fille de M. le duc d'Orléans ?
— Pour sûr ! La jeune dame supplia son père de l'épargner. Le Régent accorda sa grâce en assurant toutefois : « Si M. de Richelieu avait quatre têtes, j'aurais dans ma poche de quoi les faire couper toutes les quatre… si seulement il en avait une. » Une heureuse nature, vous dis-je. Et aujourd'hui encore. Avec cela, généreux,
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