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Pour les plaisirs du Roi

Pour les plaisirs du Roi

Titel: Pour les plaisirs du Roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Philippe Hugon
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joli cabriolet avec lequel je passai chercher M. de Saint-Rémy. Chemin faisant, il me fit les dernières recommandations. De nombreuses soirées, il m'avait conté les riches heures de Versailles, m'en décrivant les bonheurs qu'il y avait connus mais aussi les déconvenues. La Cour, disait-il, était une île dont les naturels avaient des coutumes dignes des sauvages des antipodes : on s'y livrait des guerres de cannibale. Pour la considération d'un puissant, un privilège ou une faveur du roi, l'ami de la veille devenait le rival du lendemain, personne n'était épargné. Hommes et femmes se trouvaient réunis par la seule ambition de se tenir au-dessus les uns des autres, et inversement, en un mouvement de balancier perpétuel. M. de Saint-Rémy s'y était consumé, mais il ne regrettait rien, heureux au fond de pouvoir se compter parmi les indigènes de cet étrange pays dans lequel il s'offrait maintenant de me servir de guide.
    Nous parvînmes au début de l'après-midi à une des loges du château. Mon cicérone y était connu, mais je fus très étonné de constater que le passage était libre pour toutes sortes de gens. On entrait et on sortait à sa guise, et l'endroit semblait une promenade des plus populaires. Jusque dans la Grande Galerie, on rencontrait des badauds qui vaquaient à de petites choses, certains faisant même commerce de fleurs, de flasques de vins, ou proposaient quantité de services à la cantonade en se frayant un chemin entre une multitude de chaises à porteurs et de laquais qui encombraient un peu plus les lieux. Je m'ouvris de mon étonnement à M. de Saint-Rémy qui me répondit qu'il en avait toujours été de la sorte dans une grande partie du palais ainsi que dans les jardins. Au milieu de ce tohu-bohu, les courtisans s'avançaient en petits groupes, migrant d'un salon à l'autre, dont les accès étaient parfois filtrés par des suisses. Certaines parties du château demeuraient réservées aux appartements de la famille royale, d'autres aux grands seigneurs de la Cour, d'autres enfin à la masse des courtisans. Une large part de ces derniers s'entassait dans le Grand Commun, où six cents chambres les accueillaient très médiocrement. Pour moi, qui débarquais encore fraîchement de ma campagne, mon délabré domaine de Lévignac paraissait encore bien plus enviable que ces soupentes où logeaient quelques grands noms de France.
    Qui n'a pas vu Versailles n'a qu'une faible idée de l'orgueil de nos rois comme de la soumission de ceux qui vivent dans leur proximité. J'ai toujours modérément apprécié ce palais, non qu'il ne fût d'un excellent goût, mais sa dimension ne laisse de me convaincre qu'il interdit de se sentir pleinement heureux. Il y plane une arrogance dont chacun de ses habitants veut sa part, convaincu que la grandeur des lieux les paye de la petitesse de leur condition. M. de Saint-Rémy, lui, n'avait pas de ces préventions. Il avouait une passion pour le château et me le montra aussi bien que l'illustre propriétaire l'aurait fait. Nous achevâmes la visite chez son ami d'enfance, le marquis de Bouteville qui, lui, disposait d'assez vastes appartements dans une aile du château.
    Ancien maréchal de camp, apparenté aux célèbres Montmorency, il allait sur ses soixante-dix ans et s'accrochait à son logement comme à la vie. Peut-être plus encore. Louis le Grand l'en avait doté à la fin de son règne, le récompensant ainsi pour les services rendus par sa famille, et plus particulièrement pour le bras qu'il avait laissé sur le champ de bataille de Malplaquet. Aujourd'hui, il était prêt à se couper le second chaque fois qu'il était question de lui retrancher un salon ou un boudoir pour favoriser un autre courtisan. Il menait depuis quarante ans une guerre d'assiégé, sapant toutes tentatives des éventuels assaillants en brandissant son moignon et sa croix de Saint-Louis à la moindre escarmouche. Le roi lui-même tenta une fois une expédition pour recouvrer sa souveraineté sur ce territoire. En vain. Le marquis en appela à l'arbitrage de Mme de Pompadour, avec laquelle il entretenait les meilleures relations. Il eut gain de cause et conserva l'intégralité de son bien.
    Le vieux soldat nous reçut d'abord avec méfiance. Il semblait se demander si je n'étais pas là en éclaireur pour préparer quelque assaut à venir. Mais une fois rassuré par M. de Saint-Rémy sur nos intentions pacifiques, il se dérida, nous proposant même de

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