Pour les plaisirs du Roi
Industrieux et de ces esprits qui veulent mettre en coupe réglée leur monde, il entreprit de réformer tout ce qui marchait très bien sans lui. On lui doit les maisons publiques de jeux – qui n'ont jamais supplanté les clandestines, je vous l'ai raconté –, mais aussi toute une série de mesures destinées à prétendument améliorer l'hygiène et l'approvisionnement de Paris, clament ses thuriféraires. Pour moi, je ne retiens de l'homme que sa propension à jouer de la lettre de cachet, sa basse police, son cabinet noir et surtout ses hypocrisies à l'égard des bonnes mœurs, dont il feignait d'être l'ardent défenseur. M. de Sartine, j'en ai les preuves, était – et reste – un débauché qui a fait la chasse aux libertins et aux prostituées pour se rendre populaire auprès des bourgeois et des dévots. Ce en quoi il a d'ailleurs échoué, si j'en juge par les libelles qui fustigent encore régulièrement son administration.
Nous avions donc laissé Marguerite dans l'embarras : en voici les raisons. Un beau matin, ou plutôt une nuit, la maisonnée fut mise sens dessus dessous par l'irruption des hommes du guet. J'étais chez moi quand une servante de Marguerite vint m'en avertir. Je me rendis sur place prestement mais, lorsque j'arrivai, Marguerite et ses pensionnaires n'étaient plus là. Encore effrayés, les gens de maison m'expliquèrent qu'on les avait amenées sans ménagement au Châtelet sur ordre du nouveau lieutenant criminel. La femme de chambre de Marguerite m'avisa également que les sbires de Sartine avaient fait main basse sur les cassettes de plusieurs jeunes femmes. Deux ou trois gentilshommes présents me confirmèrent ce fait. J'envoyai dans l'instant un domestique au Châtelet pour prendre des nouvelles. Il en revint presque bredouille et la seule information qu'il put obtenir m'inquiéta : Marguerite et ses ouailles seraient bientôt déférées devant le tribunal de police comme de vulgaires prostituées. La chose était choquante. Jamais une seule des disciples de Marguerite ne s'était adonnée au racolage, encore moins dans la rue. Les rencontres, dont j'étais parfois l'entremetteur, laissaient à la libre appréciation de leurs amants la nature de la gratification. Et les bénéfices qu'elles tiraient de leurs pratiques ne se pouvaient comparer aux ébats tarifés dont les maquerelles avertissent le passant dans les faubourgs. Le zèle des hommes du guet me parut d'autant plus suspect qu'il n'y avait eu aucune semonce. Dans toutes les petites maisons de Paris, on savait qu'il était courant en matière de police de voir débarquer le guet. Mais la chose conservait une pondération propre à en maîtriser les conséquences pour les deux parties. En clair, la plus grande tolérance était de mise pourvu qu'une maison fût bien tenue. Et c'était le cas de celle de Marguerite, qui de surcroît n'oubliait jamais d'exprimer toute sa gratitude aux officiers du guet par quelques menues attentions. Pourtant, ce bel équilibre semblait s'être rompu.
Le jour suivant, une de mes relations m'indiqua qu'il se préparait une audience publique afin d'instruire le cas de Marguerite. Sartine avait décidé de marquer son arrivée par un coup retentissant. Il me fallait agir. Et vite, au risque de voir le beau collège de Marguerite disséminé aux quatre vents de la justice. Je décidai de prendre conseil auprès du prince de Conti, qui, depuis sa rencontre avec Faustine, avait goûté aux mérites de plusieurs autres de mes filleules. Il me reçut le soir même en son palais de l'enclos du Temple. Je lui exposai l'affaire. Elle ne l'étonna pas car ses espions lui avaient déjà fait part des intentions du nouveau lieutenant criminel : Sartine s'était donné pour mission de se faire craindre du Paris débauché. Bien sûr, il savait qu'il ne pourrait éradiquer le libertinage – ce n'était d'ailleurs pas son souhait –, mais, en maniant la menace, il ambitionnait de se garantir des soumissions. Sartine voulait tout savoir, et dans son esprit les petites maisons devaient devenir de précieuses auxiliaires. Pour mener à bien cette stratégie, il lui fallait d'abord montrer sa force : le commerce de Marguerite en avait fait les frais. Pourtant, me précisa le prince, c'était justement au nom de cette ambition, que son cas pouvait trouver une issue heureuse. Il connaissait bien le lieutenant général de Police, le comte de la Ferrière, et se faisait fort de lui suggérer que
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