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Pour les plaisirs du Roi

Pour les plaisirs du Roi

Titel: Pour les plaisirs du Roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Philippe Hugon
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Marguerite pourrait avantageusement entrer dans les plans de la police. Il suffisait ensuite d'en convaincre Sartine, qui n'avait rien à refuser à son puissant supérieur.
    La chose paraissait simple : elle le fut. Deux jours plus tard, Marguerite et sa petite troupe étaient discrètement élargies. Après une abstinence de deux semaines, son commerce reprit, et le mien par là même. Elle avait donné des gages de son obéissance à M. de Sartine, qui dès lors devint beaucoup plus arrangeant à l'égard de son entreprise. En échange, elle fit des rapports plus ou moins circonstanciés de ses activités mais surtout de ses clients. Je lui conseillai bien sûr d'omettre ma collaboration, ce que je crois elle fit tant qu'elle le put. Nous félicitâmes M. de Conti pour ses bons offices, qui ne demanda rien d'autre comme remerciements que la copie des récits de Marguerite à Sartine. Enfin, en ce qui concerne les cassettes, aucune ne retrouva ses légitimes propriétaires mais le labeur de ces dames combla bien vite le manque à gagner.
     
    Quelques jours après cet épisode, il me prit l'envie de me divertir dans les cabarets de la rue de la Tannerie et de la Vieille-Place-aux-Veaux. J'y déconseille le séjour aux amis de l'humanité, ils en reviendraient misanthropes, ou bien n'en rentreraient pas du tout, car l'endroit est assurément le plus périlleux de Paris. On n'y marche pas, on rampe ; les corps sont faits de fange, les âmes d'ordure ; la souillure est partout. Qu'allais-je y faire, me demanderez-vous ? Vous allez le lire, mais méditez d'abord cette maxime : pour bien goûter le beau, il faut pareillement aimer le sordide. Elle est de votre serviteur et trouvera écho, j'en suis certain, chez quelques-uns d'entre vous.
    Ce soir-là, je décidai donc de diriger mes pas vers ce cloaque. En ces lieux, je me faisais habituellement reconnaître sous le surnom de comte de Boutez. J'y étais tenu en estime par diverses maquerelles, dont une particulièrement, qui jouissait d'une espèce de célébrité locale à cause des deux pilons qu'elle avait à la place des jambes. Elle avait perdu ces dernières après une gangrène provoquée par un empoisonnement du sang, chose commune dans ce commerce impur. Le mal ne s'était d'ailleurs pas arrêté en chemin et poursuivait lentement son œuvre, si bien que l'odeur fétide qu'elle transportait partout lui valait le surnom de « Charogne » de la part des aimables habitants de ce quartier. Elle fut pourtant jolie, m'assura un marchand de vin qui l'avait connue quinze ans plus tôt. Et c'est vrai qu'au milieu d'un visage ravagé par le mauvais alcool et la maladie, un œil expert pouvait encore déceler les vestiges d'une beauté passable. Pour survivre, cette ignoble créature s'était acoquinée avec un ancien portefaix tout aussi repoussant. Ensemble, ils recueillaient des enfants des rues pour les soumettre à leur loi. Les garçons, ils en faisaient des mendiants ou des voleurs dans le meilleur des cas, des gitons à deux sols l'affaire pour le pire. Quant aux filles, la maquerelle en menait l'éducation à sa manière et beaucoup ne voyaient pas leur douzième année sans avoir été livrées au plus abject commerce. Il arrivait qu'au milieu de ce fumier une rose se développât : la Charogne s'empressait alors de la vendre à des amateurs éclairés dont je fus quelques fois, je le confesse. J'ai écrit plus haut que les lecteurs n'étaient pas obligés de me suivre sur ces chemins. Il est toujours temps de refermer ce livre. Mais si vous poursuivez, ne vous plaignez pas de ce que vous découvrirez.
    Lorsqu'elle me vit paraître sur le haut de la ruelle où elle tenait son immonde pension, la Charogne se précipita vers moi de toute la célérité que son infirmité lui permettait. Nous étions en été, la nuit était chaude et elle me parut mériter son sobriquet encore plus qu'à l'habitude. Après s'être fendue d'une burlesque révérence sur ses deux moignons, elle voulut m'entraîner dans son bouge car, affirmait-elle, elle y avait un morceau de choix à me proposer. Je la suivis en prenant soin au préalable de me couvrir le nez d'un mouchoir.
    Dans son abjecte masure, un semblant d'ordre régnait toujours, ce qui n'était pas sans surprendre. Nous descendîmes les marches d'un escalier branlant afin de nous rendre dans un réduit qui faisait office de chambre à coucher pour les filles qu'elle tenait sous sa coupe. Quatre ou cinq petits êtres y

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