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Pour les plaisirs du Roi

Pour les plaisirs du Roi

Titel: Pour les plaisirs du Roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Philippe Hugon
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quitter Paris. Mais je vous rassure, ma famille s'illustre ici depuis plus de quatre siècles. Cette cité ne nous a pas accouchés, nous l'avons faite : même absent, notre nom y brillera toujours. À ce propos, vous plairait-il de me rappeler celui de votre famille, monsieur ?
    Le baril était à un pouce d'exploser. Piqué, le jeune homme attisa la mèche.
    — Mon nom, monsieur, est de ceux qui permettent aux impécunieux de manger lorsque la famine frappe à la porte – le père du jeune homme était un banquier fort en vue, à qui le duc avait dû emprunter –, se contenta-t-il de répliquer.
    Tout aussi laconique, le duc riposta :
    — Monsieur, à une époque où l'on engraisse les poissons dans les bassins de Versailles, je ne suis point inquiet pour vous.
    Le baril venait d'éclater : le marquis sursauta littéralement sur son fauteuil. L'allusion blessante à son véritable patronyme et à celui de sa sœur, Mme de Pompadour, était une déclaration de guerre. Le jeune ami de M. de Marigny ne laissa pas à ce dernier le temps de réagir, il se leva d'un bond en esquissant un geste vers la poignée de son épée. Une esquisse seulement. Mais il n'en fallait pas autant à M. de Richelieu :
    — Monsieur, si c'est une invitation, j'y réponds, lâcha-t-il en se relevant lui aussi.
    Le jeune homme blêmit : le geste avait outrepassé son intention. Malheureusement, en ce genre d'affaire, il est des attitudes qui valent une intention, et beaucoup se sont massacrés sur un malentendu. En outre, l'esclandre avait été public ; dès lors, impossible de reculer. Le duc ne comptait d'ailleurs pas être magnanime. Pris d'une vraie colère, il interpella le marquis de Marigny en lui demandant si c'était un traquenard qui avait présidé à son invitation. Et fort de ce qu'il s'estimait l'offensé, il poussa l'outrage au plus loin qu'il était possible. Le marquis s'emporta lui aussi, si bien qu'au bout d'un moment, on se rendit injures pour injures. La chose menaçait presque de tourner à la rixe lorsqu'un autre proche de M. de Marigny, ivre peut-être, fit mine de s'avancer vers le duc. Cette fois, le combat devenait inégal : je pris sans réfléchir le parti d'intervenir en lui barrant la route. Mon geste suscita un temps d'arrêt chez les protagonistes. M. de Marigny parut interloqué, ses deux belliqueux amis se regardèrent, et M. de Richelieu en profita pour prendre un pas de recul afin de se camper comme quelqu'un qui calcule un assaut. Les autres convives s'étaient tous levés et observaient stupéfaits la scène. Les affaires d'honneur sont fréquentes en notre pays, vous le savez, toutefois ce genre de sortie en pleines mondanités relève de l'exception. Mais le duc n'avait que faire du scandale : il était décidé à vider l'affaire sans attendre.
    Mon élan avait au moins eu le mérite de faire cesser l'escalade verbale. Les deux parties se toisaient maintenant, chacune attendant de l'autre le signal de la reprise des hostilités. Avec un peu de bonne volonté, on aurait cependant pu sauver ce qui pouvait l'être, si le jeune écervelé, cause de la dispute, n'avait à nouveau perdu toute mesure en défiant le duc de vider l'affaire à deux pas de là. Au cours de ma vie, j'ai souvent observé cette curiosité : c'est celui qui redoute le plus un affrontement qui le précipite. Comme si la crainte de ce qui va arriver se conjurait en courant au danger. C'est stupide car, généralement, la suite ne plaide pas pour les impatients.
    Le duc de Richelieu reçut l'invitation avec beaucoup de flegme et sembla recouvrer tout son calme pendant que son adversaire montrait d'indéniables signes de nervosité. Ce dernier voulait régler la rencontre dans l'heure. Le duc, d'un air à demi goguenard, répondit qu'il pouvait lui faire gagner du temps car il connaissait un lieu propice à moins de cinq minutes. Il ne manquait plus que des témoins. M. de Marigny se désigna pour assister son ami, tandis que M. de Richelieu cherchant autour de lui arrêta son regard sur moi. En m'interposant, j'étais entré dans le conflit : sans un mot, je m'avançai pour signifier qu'il pouvait compter sur ma personne. Il m'en remercia d'un simple mouvement de tête. Nous partîmes ensuite tous les quatre pour un petit terrain vague qui longeait les jardins des Tuileries et où le duc semblait avoir ses habitudes. Sur le chemin, il me glissa :
    — Monsieur, il y aura au moins quelque chose de positif dans cette soirée : j'y

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