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Pour les plaisirs du Roi

Pour les plaisirs du Roi

Titel: Pour les plaisirs du Roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Philippe Hugon
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étaient pelotonnés sur une paillasse pendant que, sur un autre grabat, une enfant plus âgée se dissimulait le visage avec les mains. L'obscurité empêchait de voir distinctement la physionomie des pauvres captives. La Charogne avança une lampe vers la plus grande : la pauvrette avait de longs cheveux blonds qui encadraient un visage qu'elle continuait de cacher de ses deux mains sales. La maquerelle lui intima l'ordre de nous montrer sa figure. Tremblotante, la fille s'exécuta, laissant apparaître une belle tête d'angelot, où deux grands yeux bleus nous scrutaient avec effroi. Elle devait avoir à peine quatorze ans. Selon la Charogne, elle était encore pure, et elle me proposa de vérifier. Je déclinai l'invitation. Je demandai toutefois à ce qu'elle se levât pour pouvoir mieux juger de son apparence. Voulant m'être agréable, la Charogne lui ordonna en sus de se dévêtir. La jeune fille s'exécuta à nouveau en ôtant les lambeaux qui lui servaient de vêtement. La lumière vacillante de la lampe éclaira bientôt son corps nu : elle n'était pas encore femme mais ne tarderait pas à le devenir, de ce que je pus en voir. Pour mieux me convaincre, la maquerelle lui demanda d'approcher.
    J'avoue qu'au premier coup d'œil elle ne me déplut pas et qu'il me passa par l'esprit de la sortir de ce bouge pour la confier à Marguerite afin qu'elle l'éduquât à son école. J'avais déjà pratiqué ainsi une ou deux fois : il s'agissait en quelque sorte d'un pari sur l'avenir, en même temps qu'une bonne action. Ma décision était presque acquise quand la fille ne put retenir une affreuse toux. La quinte venait du plus profond de son être et raisonna comme un glas dans sa petite poitrine. Atteinte à l'évidence de consomption pulmonaire, elle n'aurait pas longtemps à attendre pour quitter sa misérable condition. Je lui demandai de se rhabiller et quittai les lieux promptement, suivi de l'odieuse Charogne qui tenta de me retenir en répétant à l'envi que la petite serait bientôt guérie. Exaspéré, je lui enjoignis de se taire si elle ne voulait pas que je lui tranchasse la langue. Elle pâlit, autant que son affreux teint pouvait encore blêmir.
    J'allais quitter son trou infâme quand je butai sur un garçon vautré en travers de la porte. Je lui allongeai un coup de botte bien senti pour le faire dégager lorsqu'il se releva, déployant une carrure admirable pour un garçon de son âge. L'air stupide, il se découvrit de son bonnet graisseux, et marmonna ce qui me sembla des excuses. La Charogne lui hurla de déguerpir. Je l'arrêtai. Il est dans l'existence des rencontres baroques. Allez savoir pourquoi cet adolescent sale et plutôt hideux retint tout à coup mon attention. Sa carrure, peut-être ? L'idiotie innée qui ornait sa figure ? Ou alors les bénéfices que je pourrais faire des deux ? Je ne me le rappelle plus mais j'ai toujours eu un don pour dresser des créatures. Celle-ci, dans un registre nouveau, m'interpella. Je demandai à la Charogne combien elle en voulait. Interloquée, elle ne sut d'abord me répondre, prétextant qu'elle devait demander à son ignoble compagnon ce qu'il comptait en faire puisque c'était lui qui l'avait récupéré à demi mort sur les quais de la Seine. Depuis, il ne servait à rien de plus qu'à subir les bordées de coups de bâton dont le couple l'abreuvait à tout propos. Mais mon intérêt soudain venait de lui donner du prix. Chose étrange, le jeune bougre savait un peu lire et passablement écrire. Dans une autre vie, un défroqué lui avait soi-disant enseigné les deux, en même temps qu'il se faisait payer en nature les leçons par son élève, m'expliqua la Charogne qui n'en savait pas plus.
    Le dadais répondait au prénom de Simon. En revanche, pour son nom, je n'en ai jamais rien su, ni lui non plus d'ailleurs. Grand d'au moins six pieds, il avait une petite tête dont le visage inanimé, décoré d'un long nez, paraissait comme un masque de carnaval. J'ai toujours eu du goût pour les êtres étranges, et, avec ma soubrette naine, je me dis qu'il composerait une étonnante ménagerie. En outre, je n'avais plus de valet. Le précédent s'était lassé de mes tocades et des gages qu'il jugeait trop modestes pour les efforts consentis par son échine à mon service. Le bonhomme avait alors tenté d'améliorer son statut en se plaçant chez un paisible et honnête chanoine. La position était trop belle pour un individu de son espèce.

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