Pour les plaisirs du Roi
vocation. Les affaires de l'État réclament le goût de l'intrigue et du pouvoir, ce dont je m'estime dépourvu, contrairement à ce que répandent mes détracteurs. Ici, cependant, il n'était nullement question de complots à ourdir et, pour cela, l'offre du prince ne manqua pas de me séduire. Je l'avoue même : le petit rôle qu'il m'était proposé de jouer me flatta. Et puis, vous le savez bien maintenant, je suis homme à agir sous l'empire de l'opportunité. Toutefois, je ne montrai d'abord rien, et continuai à faire l'ingénu :
— Un tel homme doit pouvoir se trouver facilement parmi les chevaliers de votre Ordre, hasardai-je.
Le prince prisa à nouveau du tabac puis me fixa avec un léger sourire aux lèvres.
— Comte, en feignant de ne pas comprendre mon invitation, vous agissez déjà en diplomate, me répondit-il.
Je souris à mon tour avant de reprendre :
— Pourquoi moi, monseigneur ? Je ne suis pas rompu à cette science. Il s'agit là d'un genre où le profane n'a pas sa place.
— Détrompez-vous monsieur, la diplomatie est chose sérieuse mais souffre de trop de spécialistes. Ces messieurs des ambassades se vantent de tout savoir, mais j'en connais peu qui ont gagné une vraie guerre ou signé une bonne paix. Des causeurs, voilà tout. Et avec cela bien peu discrets : nul besoin d'espions pour connaître les sentiments de nos ambassadeurs, il suffit de lire les gazettes de Londres, tout y est.
— Je n'ai aucune expérience à faire valoir, insistai-je.
— Le Secret prospère grâce à des gentilshommes de confiance et de ressource. Vous m'avez démontré votre sang-froid au jeu, autant que votre discrétion dans des affaires très privées. Cela me suffit. Nos besognes exigent des hommes qui agissent sans se préoccuper des risques ou des convenances. Ce portrait vous ressemble.
— C'est là plutôt le portrait d'un espion, répliquai-je.
— Un gentilhomme n'est jamais un espion. Il sert son prince. J'ai des espions, ils sont efficaces mais, à trop l'être, ils en prennent des manières dont je me méfie. Non, ce que je vous propose n'a rien d'indigne et pourrait même vous valoir quelques avantages.
Les arguments du prince étaient de ceux qui décident des hommes comme moi. Je ne poussai pas plus loin mes objections et, sans demander de délais, j'acceptai. Le prince ne parut pas étonné de ma décision :
— Comte, je vous remercie de bien vouloir donner de votre temps aux intérêts du royaume. Je sais le sacrifice que vous faites en vous arrachant à votre vie mondaine. Et si je ne doute pas que vous trouverez comment égayer votre séjour à Ludwigsburg, soyez conscient que votre absence de Paris entraînera un dédommagement en rapport avec votre dévouement.
Qu'ajouter à cette aimable proposition ? Avouez qu'elle ne pouvait que convenir à un gentilhomme dans ma position. Certes, je quittais Paris pour quelques mois, mais les bénéfices qu'on me promettait autant que l'aventure qui se dessinait étaient de nature à me séduire. Et puis, à Paris, il est quelquefois bon de se faire regretter. Point trop longtemps, mais une absence bien gouvernée se paie souvent d'un vrai succès à l'heure du retour.
Revenu chez moi, je me plongeai dans un grand atlas de l'Europe où je pus me familiariser avec le théâtre de mes prochaines aventures. Le duché de Wurtemberg était fiché entre la Bavière et le pays de Bade, non loin de la frontière française vers l'ouest et de l'empire d'Autriche à l'est. Sa superficie ne dépassait pas celle du tiers du Languedoc et ses puissants voisins autrichien et français lui assuraient protection depuis plusieurs siècles. Le duc jouissait d'ailleurs du titre de comte de Montbéliard, principauté qui avait été confisquée à son père puis rendue par Louis le Grand à la condition qu'il reconnût la suzeraineté du roi de France sur ces territoires. Depuis, les ducs étaient des alliés naturels de la France, mais n'abdiquaient pas leurs racines allemandes puisque de tradition, le frère cadet du duc servait dans l'armée prussienne. Dans la situation du moment, on comprendra que ce fait était de nature à susciter l'inquiétude du parti français. Je calculais qu'il me faudrait sept journées de voyage pour atteindre Stuttgart puis Ludwigsburg. Nous étions convenus avec le prince que mon départ aurait lieu dans dix jours au plus tard. Entre-temps, je devais à nouveau le rencontrer pour qu'il me fixât les détails de ma
Weitere Kostenlose Bücher