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Pour les plaisirs du Roi

Pour les plaisirs du Roi

Titel: Pour les plaisirs du Roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Philippe Hugon
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confiance à force de batailler pour mettre de l'ordre et de la rigueur dans les comptes royaux. Il lui arrivait même de contester à un membre de la famille royale une dépense hors de proportion avec les moyens de la maison du roi. Quelques fois aussi, il me parla des sommes exorbitantes qu'il devait décaisser pour les lascives pensionnaires du Parc-aux-Cerfs. Il consignait scrupuleusement ces débours galants dans ses livres ; toutefois, par souci de discrétion, il avait pris pour habitude de les inclure dans la colonne « Dépenses imprévues » ou dans celle des « Comédies et concerts ». Comme on le voit, M. de La Ferté se faisait poète à ses heures perdues, lesquelles n'étaient d'ailleurs pas nombreuses car son intendance lui prenait toute sa vie. Une fois le mois, très précisément, il s'octroyait seulement deux journées bien à lui, dont une fut consacrée à rendre visite à mes pensionnaires. Il ne montrait pas beaucoup de générosité, mais son entregent rattrapait ce défaut : il était rare qu'il ne vînt accompagné, accroissant encore un peu plus la notoriété de mon couvent. C'est ainsi que grâce à cet excellent homme, je rencontrai pour la première fois un autre intime du roi : le sieur Dominique Lebel.
    Premier valet de chambre du roi, personne dans tout le royaume n'approchait d'aussi près le monarque, hormis ses maîtresses. Il en tirait beaucoup de morgue, ce qui lui faisait souvent oublier sa condition lorsqu'il s'adressait à des gens de qualité. Précédemment concierge du château de Versailles – il disposait d'un petit appartement dans l'aile du Gouvernement –, Lebel s'était hissé à cette enviable situation – pour un domestique – à force d'intrigues et de coups bas parmi ses égaux. Depuis 1744, année de sa prise de fonction, il n'avait eu de cesse de consolider sa place en se rendant indispensable à toutes les besognes. On le verra, le caractère du roi souffrait de fréquentes langueurs qu'il combattait en se réfugiant dans des plaisirs sensuels. Lebel sut tirer parti de ces défauts en caressant son maître par là où il péchait. Toujours prompt à l'encourager dans ses faiblesses, il en devint ainsi un cicérone en mauvaises manières. C'est lui, en particulier, qui amenait dans le lit du roi des filles complaisantes, parfois même des fillettes, disait-on. Ce fut au début de 1759, si je m'en souviens bien, qu'il accompagna M. de La Ferté à l'un de mes soupers garnis. L'homme avait passé les soixante ans mais portait encore beau. Il fut très courtois, parfois spirituel, et sembla s'intéresser de près à une ou deux de mes novices, avant de se raviser pour rejoindre une table de jeu. Un peu plus tard dans la soirée, l'une des filles que Lebel avait entreprises vint me confier qu'il s'était livré sur sa personne à une sorte d'interrogatoire dont les questions relevaient d'un chapitre fort intime. Je m'étonnai de ces méthodes et profitai de la première opportunité pour engager la conversation avec lui sur ce sujet.
    — Monsieur, on me rapporte que vous menez une enquête dans ma maison, lui dis-je d'un ton cordial mais ferme.
    Lebel ne se démonta pas, prit une mine pincée, et répondit de sa petite voix fluette :
    — Monsieur le comte, il n'est pas dans mes manières de faire le limier de la police, si c'est ce dont vous vous inquiétez.
    — L'inquiétude n'est pas une parente à moi, cela se sait, je crois. En revanche, la curiosité est dans mon cousinage. Pour cela, je m'interroge sur vos questions à la jeune femme qui occupa un temps votre attention durant le souper, répondis-je toujours aimablement.
    — Ah, je comprends mieux votre souci…
    — Le souci est frère de l'inquiétude : je vous le répète, ils ne sont pas de ma famille.
    Lebel se troubla. Il reprit :
    — Je suis très bien reçu chez vous, monsieur le comte, et je saurai m'en faire l'écho en d'autres lieux. Mes questions n'avaient d'autre but que de mieux connaître cette charmante jeune fille, tellement en notre époque il ne faut jurer de rien, et encore moins sur la bonne mine.
    — C'est vrai, toutefois, sachez monsieur que mes protégées n'ont point l'habitude d'être ainsi sondées. Les petits arrangements que vous et moi savons qu'elles consentent parfois sont exempts de ces fâcheux ennuis qui gâchent le souvenir d'une belle rencontre, j'en réponds, assurai-je.
    — En ce point, je vous fais toute confiance, monsieur le comte. Mais comprenez-moi, il

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