Pour les plaisirs du Roi
Lebel pour en apprendre plus encore. Il prit visiblement plaisir à notre conversation et mes bons soins gagnèrent son estime, tant il est vrai qu'à cette époque je ne le cédais en rien à la plus habile des courtisanes pour séduire mon monde.
Il était deux heures passé minuit quand Lebel prit congé. Nous nous séparâmes en nous promettant de nous revoir souvent. L'homme me plaisait médiocrement, mais son amitié était de celles qui ne se négligent pas.
9 Dans un passage de ses Mémoires, le chevalier de Saunières, habitué de la maison du comte, explique que Victoire montra des signes non équivoques d'intérêt pour le marquis espagnol, et non l'inverse. Jean du Barry s'en serait ému, mais dut se résoudre à céder Victoire. Ces circonstances expliquent sûrement le peu de place que le comte lui consacre dans ses Mémoires.
Chapitre XVI
A u commencement de l'année 1760, je fis régulièrement le voyage jusqu'à Versailles. Je m'y étais auparavant montré à de nombreuses occasions, mais sans toutefois y prendre mes quartiers. La Cour vivait dans l'attente des apparitions du roi : comme je l'ai expliqué, celui-ci prisait peu son palais de Versailles, et préférait les résidences de Trianon, de Fontainebleau, de Compiègne ou de Choisy. N'étant pas dans le cercle restreint des courtisans qui le suivaient dans ses villégiatures, il m'apparut très vite qu'il y avait mieux à faire à Paris, ce que vous venez de lire. Cependant, le nombre de puissants gentilshommes qui me rendaient désormais visite à mon domicile de la rue des Petits-Carreaux accrut d'autant les raisons de me rendre à la Cour. Je m'y installai notamment lors des séjours du duc de Richelieu qui goûtait de plus en plus ma compagnie. Avec lui, je découvris des subtilités qui m'avaient échappé au cours de mes précédentes visites. Car si on s'ennuyait ferme à Versailles lorsque le roi n'y était pas, les courtisans qui disposaient d'appartements trouvaient parfois à s'occuper de manière surprenante. Chez une marquise, en particulier, l'habitude s'était prise d'organiser toutes sortes de soirées, dont ce qu'elle nommait des soupers à l'aveugle. On y venait clandestinement à minuit passé : des domestiques introduisaient les invités dans un vaste salon où ne brillait aucune lumière. Pour augmenter encore l'obscurité, des tentures obstruaient les fenêtres. Une cinquantaine de personnes des deux sexes participaient généralement à ces insolites agapes, où les mets et les alcools se trouvaient sur des tables dressées le long des murs. Tout ce petit monde tâtonnait de concert, ce qui suscitait beaucoup de gaieté, d'autant que les invités avaient pour consigne de taire leur identité. Bref, protégés des regards et pourvus de l'anonymat, les convives de ces rendez-vous d'aveugles se permettaient des genres de folies dont vous pouvez imaginer qu'elles me plurent positivement.
Lors de mes séjours à Versailles, je logeais habituellement dans un petit appartement qu'un gentilhomme breton me prêtait au second étage du Grand Commun, en échange des faveurs d'une de mes novices. Il m'arrivait d'y passer une semaine, entre parties de cartes, soupers et quelques rendez-vous galants. Je vous ai expliqué précédemment que je goûte peu les mièvres simulacres qui se jouent généralement entre deux êtres attirés l'un par l'autre. On le sait, les femmes du monde aiment très hypocritement se livrer à ces enfantillages et à Versailles la mode voulait qu'on soupirât longtemps pour obtenir l'essentiel. Je fis donc ma cour à quelques dames ; toutefois, je sus choisir les plus impatientes : certaines démontrèrent dans nos travaux une habileté digne des meilleures petites maisons. Cependant, les femmes de Versailles ne m'ont jamais convaincu d'abandonner mon penchant pour les filles moins poudrées. Je partageais cet appétit avec de nombreux autres gentilshommes, à en juger par l'essor que prirent mes affaires à cette époque. Bientôt, mes services me rendirent indispensable aux plus distinguées figures de la cour. Mais il n'est de réussite qui ne suscite la jalousie chez les faibles et la méfiance chez les puissants. Et si mes voyages à Versailles augmentèrent sensiblement ma clientèle, ils commencèrent également de me perdre dans l'esprit de certains.
Je l'ai dit, M. de Richelieu me tenait en grande estime, cela se savait, et n'aurait porté à aucune conséquence si le sort n'avait
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