Pour les plaisirs du Roi
m'arrive, comme tout le monde le sait, de servir les plats à d'autres fins gourmets. Un, en particulier, me fait une confiance aveugle en cette matière. Il me serait désagréable de lui donner à souper des mets gâtés ou frelatés, m'expliqua-t-il, d'un ton de ministre.
— À mon tour de vous rassurer alors. Nous ne servons sous mon toit que des nourritures comestibles. Et jusqu'alors, nous n'avons empoisonné personne. M. de La Ferté, votre ami, peut en témoigner.
— Certes, et c'est pour cela que je suis chez vous.
— Fort bien. Et à part ces méditations gastronomiques, comment trouvez-vous mes protégées ?
— De bien belle tenue.
— Et…
— Bien faites, avec de l'esprit, mais…
— Mais ?
— Bas les masques, monsieur, et pardonnez ma franchise : vos filles sont belles, c'est vrai. Toutefois, je crains qu'elles ne le soient pas assez pour satisfaire mon maître, lâcha-t-il.
Sa sortie me déplut quelque peu. Je décidai pourtant de me montrer diplomate.
— Je vous remercie de votre honnêteté, monsieur. Et pour vous en payer de retour, je vous dirai tout aussi sincèrement qu'il ne fut jamais dans mes intentions de prétendre à satisfaire les exigences de votre puissant maître ni celle de son ambassadeur.
Lebel se rengorgea. Il se savait puissant, mais il ne pouvait s'empêcher de s'en réjouir chaque fois qu'on le lui rappelait. Les fats sont ainsi faits qu'aussi haut qu'ils se hissent, ils ont besoin des autres pour se convaincre qu'ils y sont. Il reprit :
— Monsieur le comte, nous sommes si j'ose dire un peu de la même école. Nous choisissons le meilleur pour ceux qui nous font confiance et je ne doute pas que l'élite de votre maison rende un jour des services appréciables à mon maître. Il en va aussi de mes intérêts. Mais avant, je veux vous entretenir de certaines choses, si vous y consentez.
— Je vous écoute.
— Merci, monsieur le comte, vous ne perdrez pas votre temps. Mon maître, le roi, puisqu'il faut bien le nommer, est d'une nature sourcilleuse quant à ses maîtresses. Tout comme moi, j'ose le dire, et n'y voyez nulle jactance. Car si je suis encore là après quinze années d'intrigues et de médisances de mes rivaux, c'est parce que, sur le chapitre des femmes, nous partageons une parfaite communauté de vues : mes goûts sont ceux du roi et ses goûts sont les miens. Comprenez-vous ?
— Je le crois, dis-je, éberlué par l'aplomb de cet homme.
Il continua :
— Donc, comme je vous le disais, je suis en quelque sorte un goûteur à la nouvelle mode. Saisissez-vous mieux maintenant mes questions à votre protégée ?
— Parfaitement.
— À ce sujet, le roi a eu quelques chaudes-pisses mais il a toujours préservé l'essentiel. Je n'y suis pas pour rien.
— Voilà une bien noble mission.
— Je le pense aussi. Le roi m'en est reconnaissant. D'autant que peu de femmes savent le contenter. Je suis au fait de ses petites manies puisque j'ai les mêmes… Mon choix est toujours le bon.
— Il vous arrive donc de vous rendre compte par vous-même.
— C'est ce que je vous dis, monsieur. J'éprouve toutes les prétendantes, c'est ma charge.
— Sans limites ?
— Presque aucune. Ces dix dernières années, à l'exception notable de Mme de Pompadour, j'ai un peu ou entièrement jaugé les trois quarts des femmes qui sont entrées dans la couche du roi. J'en tiens d'ailleurs un compte précis. M. de La Ferté aussi, mais pour d'autres raisons.
— Oui, il me l'a expliqué.
— Vous me dites que Mme de Pompadour n'a pas eu à subir… je veux dire, à éprouver votre jugement ?
— Non, cela s'est fait sans moi. Le roi a des privilèges. Mais j'ai approuvé ce choix. Il a d'ailleurs fallu du temps pour que Mme de Pompadour m'en soit reconnaissante.
Il parlait comme si le roi fût sa marionnette. Je me rendis compte plus tard que cela n'était parfois pas une chimère. Et si le peuple savait comment se décident les affaires d'État, il adresserait ses foudres aux serviteurs plutôt qu'aux maîtres.
Lebel continua de pérorer, m'expliquant que Mme de Pompadour lui était devenue une alliée dans sa chasse assidue de jeunes beautés. Mais de cela, tout le monde était désormais au courant. Malade et peu encline à satisfaire les désirs de son royal amant, la marquise conservait toute son influence sur le monarque et voulait savoir qui entrait dans son lit. Jusqu'à son dernier souffle, elle garda ce pouvoir. Toute la soirée, je cajolai
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